Publié le 01.03.2018

Journée internationale des maladies rares : discours de Frédérique Vidal

Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, s'est exprimée à l'occasion de sa visite au Village des maladies rares, mercredi 28 février 2018, au Forum des Halles de Paris. La ministre est revenue sur le nouveau plan national sur les maladies rares pour la période 2018-2022.

Intervention de Frédérique Vidal au Village des maladies rares

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI 

Je suis très heureuse d'ouvrir cette conférence sur la recherche concernant les maladies rares et je voudrais remercier :

  • les filières maladies rares pour cette initiative, dont c'est, je crois, la première édition, 
  • les chercheurs qui vont nous exposer leurs travaux pour le temps qu'ils ont pris pour mettre leur connaissance à la disposition du plus grand nombre, 
  • et puis vous tous qui êtes venus chercher cette connaissance, et la retransmettrez sans nul doute autour de vous.

 Je voudrais insister ce soir avec vous sur l'importance qu'a dans notre société cette activité de diffusion du savoir auprès de l'ensemble de nos concitoyens. Les temps actuels sont parfois ceux d'un doute de la science, voire d'un désamour.  On entend parfois des propos, qui mettent sur le même plan des opinions, et des faits scientifiques avérés alors qu'il est essentiel de séparer ces deux niveaux de discours. Il importe pour cela de mettre à la disposition de tous, dès le plus jeune âge, les faits scientifiques ; de montrer comment le déploiement de l'intelligence humaine permet de comprendre ; de faire briller les yeux à l'idée qu'on pourrait soi aussi consacrer sa vie à cela ; de créer la confiance vis-à-vis de la science tout comme la capacité à toujours l'interroger, la questionner.

La recherche, c'est la production de nouvelles connaissances, pour mieux comprendre le monde autour de nous et pouvoir agir dessus. 

La recherche en santé est l'un des champs qui éveille le plus d'intérêt du grand public, parce que chacun voit bien quel en est le but ultime, pour diagnostiquer, traiter, améliorer la qualité de vie. 

Il est habituel de distinguer dans la recherche en santé plusieurs étapes, celle de la recherche dite pré-clinique, qui va permettre la découverte d'un nouveau mécanisme biologique, par exemple la découverte de la fonction d'un gêne, celle de la recherche dite translationnelle, qui va utiliser un nouveau concept pour essayer de fabriquer un médicament, ou de mettre au point une technique chirurgicale, ou de créer une application, et celle de la recherche clinique, qui, en conditions réelles, va évaluer ce qu'apporte une nouvelle stratégie diagnostique ou thérapeutique. 

Et tout l'enjeu, et la responsabilité des pouvoirs publics est de permettre l'organisation la plus efficiente et fluide possible de ces trois phases. 

Concernant la recherche fondamentale, il importe, et ce n'est pas toujours compris, qu'elle puisse s'exercer dans la plus grande liberté, et qu'elle ne soit pas organisée uniquement en fonction des problèmes concrets d'aval qu'il faut résoudre. Et il est donc fondamental de préserver des budgets de recherche non fléchés pour cette activité, et c'est le choix que j'ai fait dans le cadre du budget de la recherche, notamment en augmentant les dotations des labos et le budget de l'A.N.R.. C'est important parce que c'est cette activité fondamentale qui permet à un moment une rupture, un saut dans la connaissance vers autre chose et non pas une activité ciblée sur un objectif directement opérationnel. On donne parfois comme illustration triviale de ce point qu'aucune recherche d'amélioration des bougies n'aurait permis de découvrir l'électricité. Pour ma part, j'aime à rappeler (1969 – Yellowstone). Ce soutien de la recherche fondamentale doit s'inscrire dans un temps long sans exigence de résultats immédiats. Dans le domaine des maladies rares, dont beaucoup sont d'origine génétique, la place de la recherche fondamentale dans l'avancée de la compréhension des maladies a été déterminante, et la France y tient une belle place. 

La seconde étape est celle de la recherche translationnelle, qui va permettre de passer d'un concept à un produit, par exemple un médicament. La réussite de cette étape dépend de façon cruciale de la proximité entre les chercheurs et les cliniciens pour croiser les questions des uns et les réponses des autres, et je crois que vous allez en entendre un très bel exemple tout à l'heure avec la présentation d'un projet de recherche d'ingénierie tissulaire pour réparer l'œsophage. Des appels à projets spécifiques peuvent être nécessaires pour soutenir cette recherche translationnelle et favoriser la convergence de fonds publics et privés et c'est ce que nous avons fait en lançant le quatrième appel à projet Recherche Hospitalo-Universitaire pour un montant de 50 millions d'euros. On ne sait évidemment pas quels seront les nouveaux projets financés dans ce cadre, mais la communauté de recherche autour des maladies rares est forte et l'on peut saluer les deux projets lauréats des précédents appels à projet, le projet Cilico, concernant les ciliopathies avec atteintes rénales et le projet Light4deaf (light for deaf) qui dans des champs très différents, remplissent le même objectif d'aborder une maladie sous de multiples aspects biologiques, technologiques, sociaux et de produire des connaissances dont certaines sont rapidement transférables, par exemple pour le développement de kits de diagnostic, et dont d'autres peuvent aussi avoir des applications plus générales pour des maladies fréquentes. 

La troisième étape enfin est celle de la recherche clinique, qui peut notamment concerner l'évaluation clinique d'une  nouvelle thérapeutique, mais parfois aussi l'évaluation dans une nouvelle indication d'un traitement déjà disponible ou l'obtention de données dites en vie réelle, permettant de mieux mesurer par exemple des impacts sur la qualité de vie. 

Ces étapes concernent peu ou prou l'ensemble de la recherche en santé, mais elles ont quelques caractéristiques particulières en ce qui concerne les maladies rares que je voudrais maintenant évoquer avec vous. 

Du fait du caractère génétique d'un grand nombre des maladies rares, la recherche de traitements fait une place importante aux biotechnologies, aux thérapies géniques ou aux thérapies cellulaires nécessitant une proximité encore plus importante entre recherche fondamentale et recherche translationnelle. Ceci impose que l'on puisse de façon plus généralisée et plus facile qu'aujourd'hui accueillir des start-up au cœur même de l'environnement hospitalo-universitaire et le gouvernement soutiendra les projets en ce sens, qui sont la condition d'innovations dans ce champ. Ces recherches font appel à un continuum de méthodes des modèles cellulaires jusqu'à certains modèles animaux, dont nos laboratoires doivent pouvoir disposer. Il faudra aussi que nous envisagions dans le cadre de la réflexion collective sur la révision des lois de bioéthique qui sera portée par la ministre des Solidarités et de la Santé à l'automne, les enjeux liés à ces biotechnologies. 

C'est une évidence de rappeler que les maladies rares sont rares. Le nombre de personnes concernées est important, près de 3 millions.  Néanmoins chaque maladie peut ne concerner que quelques dizaines à quelques milliers de personnes et le mécanisme moléculaire peut être spécifique à des centaines de ces maladies. C'est pourquoi la ministre de la Solidarité et de la Santé et moi-même estimons indispensable que l'Etat continue d'investir dans la recherche sur ces maladies. Cette spécificité a trois conséquences dont nous devons tenir compte dans l'organisation de la recherche et qui représenteront des axes importants du troisième Plan maladies rares en cours de finalisation et d'articulations avec le Plan national de santé publique. 

La première est que l'organisation des données devient un enjeu déterminant. En effet si l'on veut colliger les situations cliniques identiques, permettre au clinicien qui lit dans une publication scientifique qu'un nouveau gène responsable de telle anomalie a été découvert, de relier cette information à des patients qu'il suit, il faut pouvoir confronter les données de ces patients à la base la plus large possible. La communauté des maladies rares s'est très largement mobilisée sur ce sujet, à l'échelle nationale, avec la création de bases de données cliniques, ainsi que la création de cohortes qui ont été soutenues dans le cadre du plan d'investissement d'avenir. L'organisation des soins issue des précédents plans, qui a permis un maillage du territoire par des centres de compétence et de référence représente un atout majeur dans l'organisation correcte des données de santé pour les maladies rares.

Cette mobilisation a permis à la France de tenir une place de premier rang en Europe sur cette thématique. Notre pays coordonne l'Era-net E-rare et prépare la proposition pour l'European Joint Project (E.J.P.) sur cette thématique. Il nous faut poursuivre cet effort et le soutien financier des bases de données, avec une attention particulière pour leur interopérabilité avec les bases européennes, et cela sera au cœur des préoccupations de mon ministère dans les années à venir. Cette structuration est particulièrement importante pour permettre de mieux résoudre les situations dites d'impasse diagnostique, qui sont ces situations où après application de toutes les stratégies diagnostiques connues, on ne sait toujours pas "étiqueter" exactement la maladie, et où il est particulièrement important, comme je l'évoquais tout à l'heure qu'il soit possible de rechercher des patients similaires, en particulier pour leur permettre de bénéficier rapidement d'une avancée diagnostique voire thérapeutique. La réduction de cette errance, sera l'un des objectifs fort du troisième plan, et nous devons continuer de travailler à l'ensemble des mesures qui permettront sur le plan de l'organisation des soins et de l'organisation de la recherche d'y répondre. 

La seconde tient à l'importance que prenne dans le diagnostic de ces maladies toutes les techniques biologiques "omiques" notamment la génomique. Il y a là un enjeu crucial à la fois de collecte des prélèvements, d'analyse et d'interprétation des données. C'est le sens du plan France médecine génomique, que nous avons lancé conjointement la ministre des solidarités et de la santé et moi-même. Deux plateformes d'analyse génomiques ont été financées pour des montants de près de 20 millions d'euros chacune, et elles ont notamment pour mission d'assurer, en lien avec un réseau national des maladies rares, une partie des analyses nécessaires pour le diagnostic de ces pathologies. Ces plateformes sont incluses dans un dispositif national qui mutualise des fonctions d'expertise et permettra à la France de tenir un rôle de leader européen. 

La troisième, que je sais essentielle pour les patients, tient aux particularités du développement de traitements lorsqu'ils peuvent ne concerner que des petites populations. Il est essentiel dans ce domaine de réfléchir au modèle médico-économique spécifique de ces innovations, ainsi qu'aux conditions dans lesquelles elles peuvent accéder au marché et être disponibles pour les patients. Le 3e plan devra proposer des mesures en ce sens  et ces questions seront également incluses dans les réflexions du conseil stratégique des industries de santé qui se réunira en juillet prochain sous la présidence du premier ministre. 

Je ne voudrais pas être plus longue. La ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation que je suis a encore un souvenir précis de ce qu'est la recherche sur les maladies rares, qui a été, un temps au cœur de mon activité professionnelle et ma passion. Je sais, précisément, quelles sont ses contraintes particulières, quelle place essentielle est celle des associations de patients, à quel point le dialogue est important et les attentes  nombreuses et les mesures auxquelles nous travaillons, la ministre des Solidarités et de la Santé et moi-même, pour décliner les grandes orientations du troisième plan.