Publié le 11.10.2018

Remise des médailles de l'innovation C.N.R.S. 2018 : discours de Frédérique Vidal

Frédérique Vidal, s'est exprimée lors de la remise des médailles de l’innovation 2018 du C.N.R.S. aux lauréats Valérie Castellani, Thierry Chartier et Daniel Le Berre.

Médailles innovation CNRS 2018

Je suis ravie d’être parmi vous pour cette cérémonie de remise des médailles de l’innovation du C.N.R.S. qui, à bien des égards, illustre cette très belle phrase d’Hegel : "Les idées qui bouleversent le monde marchent à pas de colombes".

Naître de la recherche fondamentale, pour une innovation, c’est naître du silence de l’inconnu, se développer à force de travail, de persévérance, d’essais et d’erreurs, pour éclore parfois sans bruit, sans que le grand public n’en mesure tout de suite la portée, et c’est pour cela aussi que cette cérémonie a de l’importance, pour donner plus d’écho à vos réalisations scientifiques et entrepreneuriales, chers lauréats, car elles ont le pouvoir, en effet, de changer le monde.

Et je le dis sans exagération: car, ouvrir la voie à des traitements anticancéreux ciblés et personnalisés, contribuer à bâtir l’Usine du futur grâce à des technologies d’impression qui intéressent tous les secteurs de l’industrie, participer pleinement à la révolution numérique en créant un logiciel utilisé partout sur la planète, oui incontestablement, c’est inventer l’avenir.

Et pourtant, votre but, je le crois, c’était d’abord et avant tout de connaître. Il faut se garder de refaire l’histoire et de relire vos parcours à l’aune des résultats magnifiques que l’on salue aujourd’hui comme si vous aviez programmé votre recherche vers ces buts. 

L’innovation ne découle pas toujours en effet de la science comme une conséquence d’une cause. Vous démontrez remarquablement toute la puissance de la sérendipité.

Et vous nous en donnez, chère Valérie Castellani, un formidable exemple. Votre start-up, Oncofactory, n’aurait certainement pas vu le jour si vous n’aviez pas été animée par la curiosité, la volonté de repousser les frontières du savoir, sans jamais restreindre le champ des possibles. Avant d’être un transfert du laboratoire au patient, votre innovation repose sur un transfert de connaissances entre deux disciplines scientifiques, la biologie du développement et la cancérologie.  Vous avez en effet utilisé un modèle animal phare dans la biologie du développement, l’embryon d’oiseau, pour y réaliser des répliques miniaturisées de tumeurs d’enfants puis d’adultes, alors qu’elles sont classiquement étudiées dans des modèles murins.

Ce pas de côté s’est avéré gagnant parce qu’il repose sur une forme d’évidence que personne n’avait vue ou exploitée jusqu’à lors : quel meilleur modèle que l’embryon pour étudier l’évolution des cellules cancéreuses d’un organisme immature, d’un enfant Quel meilleur modèle qu’un embryon pour étudier des cellules tumorales qui réactivent des principes d’embryogénèse pour proliférer ?  Et vos travaux prennent un relief tout particulier  en s’attaquant à ce cancer pédiatrique le neuroblastome pour lequel il n’y a pas aujourd’hui de traitement efficace? L’innovation, c’est souvent ce qui est là, juste sous nos yeux et qui nous apparaît uniquement lorsqu’on décentre un peu son regard.

Vous faites vous-même de vos travaux sur la génération des neurones dans l’embryon, chère Valérie, une belle métaphore du processus d’innovation : une idée qui, à l’image d’une cellule, migre du laboratoire à la société, en captant les signaux qu’elle trouve dans son environnement et qui lui confèrent une trajectoire unique.

Cette ouverture d’esprit, cette attention à ce qui est hors champ, c’est cela aussi qui fait l’innovation. Une recherche libre, libre de comprendre le monde sans contraintes applicatives, n’est pas pour autant une recherche sourde aux besoins de la société. On ne trouve aucune liberté dans l’ignorance de l’autre. Connaître les attentes des citoyens, des industriels, des entreprises, pour mieux en saisir les suggestions inattendues, les opportunités, c’est cela aussi qui fait un chercheur libre car pleinement responsable. 

Et c’est votre parcours, cher Thierry Chartier, qui l’exprime le mieux.  Il commence par un doctorat en collaboration industrielle, preuve que c’est une excellente manière d’attraper le virus de l’entreprenariat et de la recherche partenariale. C’est la raison pour laquelle j’ai d’ailleurs souhaité étendre le dispositif CIFRE en finançant 1450 thèses par an, soit 50 de plus qu’auparavant. Mais revenons à vous, car la suite de votre carrière démontre pleinement la fécondité de cette immersion dans le monde industriel. En effet, non seulement  vous allez mettre en place un laboratoire commun avec Air Liquide que vous qualifiez vous-même d’outil d’innovation et de transfert, mais vos travaux sur les matériaux et les procédés céramiques vont aussi donner naissance à 2 start-up, 3D Ceram et Ceradrop, qui sont devenues depuis des P.M.E. parties à la conquête de la planète. 3D Ceram s’est imposée comme le leader mondial des impressions 3D céramique, tandis que Ceradrop équipe les plus grands, à l’image du Laboratoire national américain de Los Alamos. La destinée de 3D Ceram illustre bien les interférences fécondes entre les découvertes scientifiques, les inventions techniques et les innovations technologiques : issue de travaux en sciences des matériaux, sa technique de stéréolithographie est revenue dans le champ de la recherche, mais dans un autre domaine, celui des sciences médicales : un partenariat entre 3D Ceram et le C.H.U. de Limoges a ainsi donné naissance à un implant crânien en céramique susceptible de révolutionner la chirurgie reconstructrice. Ici également l’innovation naît à l’intersection de mondes différents.

Nous avons parlé de recherche, nous avons parlé d’innovation. Mais la connaissance reste amputée d’une partie de sa puissance tant qu’on ne parle pas de formation. Voilà qui m’amène à vous, cher Daniel Le Berre. Il n’est pas exagéré de dire que la valorisation, c’est votre quotidien : car quand vous ne transférez pas vos connaissances en informatique vers la création de logiciel, vous les transmettez à vos étudiants de l’Université d’Artois.  Il n’y a pas de recette miracle pour innover, on le sait bien ; néanmoins une chose est certaine, une innovation c’est d’abord une idée.  

Les idées vivent de transmission, d’approfondissement, et de confrontation : voilà pourquoi réunir dans un campus des universités, des laboratoires et des entreprises, c’est créer les conditions de l’innovation, parce que c’est favoriser la vie des idées. 

Le formidable succès de votre logiciel libre SAT4j m’interpelle aussi sur un autre aspect du processus d’innovation : la question du temps. Dans le domaine du numérique, les avancées conceptuelles se traduisent tout de suite en innovation, car elles ne passent pas par l’intermédiaire matériel de l’industrialisation. Comment retrouver cette continuité, cette fluidité de l’idée à l’innovation, dans tous les secteurs économiques ? C’est ce à quoi je me suis employée avec l’ensemble du Gouvernement. Je vais y revenir.

Chers lauréats,  la diversité de vos parcours démontre qu’il n’y a en tout cas pas de route toute tracée, ni de voie unique vers l’innovation. Tout au plus peut-on dire à l’instar du poète Robert Frost "2 chemins divergent dans un bois, j’ai décidé de prendre le moins emprunté et c’est ce qui a fait toute la différence".

Assurément vous vous êtes engagés hors des sentiers battus, mais cela ne signifie pas que vous avez avancé seuls. Et je veux ici remercier aussi les équipes avec lesquelles vous avez travaillé car le travail d’équipe est une des forces de la recherche française qu’il nous faut reconnaitre et saluer comme tel. 

 

Je tiens à saluer l’initiative du C.N.R.S. qui pour la première fois adosse cette cérémonie à une journée entièrement consacrée à ses start-up. 

Je soutiens tout particulièrement la volonté de C.N.R.S. et de son président de renforcer la dynamique de création de start-ups à partir des laboratoires du CNRS. Elle est déjà forte de très beaux succès mais elle peut encore significativement se renforcer.

Et je voudrais souligner un point important: les liens qui unissent les laboratoires publics aux start-up auxquelles ils ont donné naissance ne sont pas voués à se rompre une fois la start-up sur les rails. Bien au contraire, ces relations de confiance et de proximité sont le noyau dur de cette communauté de l’innovation deeptech que nous devons créer et agrandir. L’innovation se matérialise certes dans  un produit mais elle relève d’un état d’esprit, d’une culture que le monde de l’entreprise et le monde académique doivent avoir en partage.

Trop de barrières séparent encore la recherche de l’entreprise, que ce soit celle du préjugé, de la méconnaissance ou de la procédure administrative. L’objectif de la loi PACTE, c’est de les faire tomber pour mieux ériger à leur place des passerelles, car une idée, c’est à la fois puissant et fragile : on peut changer le monde avec une idée, mais on peut aussi l’éreinter à force d’obstacles.

Les dispositions de la loi PACTE pour la recherche publique  répondent donc à deux principes :

Tout d’abord, le chercheur doit pouvoir tenter l’aventure entrepreneuriale sans s’engager dans un parcours du combattant. Je sais la persévérance dont vous avez dû faire preuve pour monter vos start-up et je vous en félicite : plus d’un chercheur est découragé par la lourdeur des procédures à suivre pour créer une entreprise ou pour participer à ses activités, à son capital ou à sa gouvernance. On ne peut pas laisser cette énergie entrepreneuriale dont notre pays a tant besoin se perdre dans les limbes de l’administration. C’est pourquoi la loi PACTE facilitera les allers-retours entre le laboratoire et l’entreprise, notamment en supprimant l’obligation de passer devant la commission de déontologie et en autorisant les chercheurs à consacrer jusqu’à 50% de leur temps à l’entreprise, et à conserver des parts dans cette start-up.

Le 2e principe est en quelque sorte le pendant du premier : si une entreprise collabore avec la recherche académique, c’est pour avoir un temps d’avance sur ces concurrents, pas pour en perdre.

Or à chaque verrou administratif, à chaque ligne de contrat supplémentaire, à chaque négociation avec un interlocuteur nouveau, on en perd un peu plus, du temps, et avec lui les chances de voir son projet entrepreneurial aboutir. C’est pourquoi ma priorité, et celle du gouvernement, est de simplifier le dialogue entre la recherche et l’entreprise, qui pourra se concentrer sur l’essentiel, en s’appuyant sur des contrats de recherche type et un mandataire unique effectivement mis en œuvre en un temps court. La réduction visée du nombre de tutelles des U.M.R. rendra d’ailleurs naturellement plus facile la mise en œuvre de ces mesures.

Tout cela est essentiel, mais ce n’est pas suffisant : il ne faut pas simplement aider les idées à éclore et à circuler, il faut aussi leur permettre de mûrir et de croître. Il faut du courage, il faut de l’énergie, il faut du cran pour se lancer dans l’aventure entrepreneuriale, et ce dont a besoin un futur entrepreneur ce n’est pas seulement de liberté d’action, mais c’est aussi de carburant pour continuer d’avancer. Ce soutien, c’est le plan deeptech dont nous avons confié la mise en œuvre à BPIFrance, et c’est l’accompagnement sur mesure que pourront offrir aux entrepreneurs les incubateurs, qui verront leurs moyens renforcés, afin qu’ils puissent davantage aider les start-up de la deep tech dans toutes les phases critiques de leur création. Enfin, dans le même temps, nous engageons au sein du conseil de l’innovation une réduction du nombre de structures de valorisation et positionnons des moyens substantiels, 1/3 du Fonds pour l’innovation soit 70 à 80 M€ /an à l’amplification du développement des start-ups deeptech, sans compter ce que nous poussons la commission européenne à mettre en place en matière de soutien à l’innovation de rupture au sein de l’E.I.C.. 

En pariant sur l’innovation de rupture, notre pays se familiarise avec la culture du risque. Einstein disait que si une idée n’est pas a priori absurde, elle est sans espoir. Les idées qui ont le plus fort potentiel, celui de changer les choses, sont aussi les plus incertaines. Ce risque, qui porte en germe le progrès pour tous, nous devons le prendre collectivement ; c’est pourquoi l’Etat et bientôt la commission européenne, s’engagent avec résolution dans le financement de l’innovation de rupture, afin de permettre à notre pays de sauter le pas et d’impulser une dynamique que tout l’écosystème, public et privé, pourra ensuite alimenter. L’enjeu est de financer plus mais aussi plus simplement, en se concentrant sur les dispositifs qui fonctionnent. Le prix Ilab est de ceux-là, et je sais que Valérie Castellani, lauréate en 2015, ne me contredira pas sur ce point. Il verra donc ses capacités doubler : avec près de 30 millions d’euros par an, il pourra donner plus de moyens à plus de projets.  De ces premiers petits tickets, également alimentés par le plan deep tech, aux grands défis stratégiques financés par le fonds pour l’innovation de rupture, tous les leviers, bottom-up ou top-down, sont mobilisés pour faire de notre pays un leader de la deep tech. 

Ce leadership, vous l’incarnez chacun à votre manière, chers lauréats, et je vous en remercie très  chaleureusement en vous renouvelant mes félicitations.

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