Publié le 22.03.2019

Colloque de la C.P.U. : discours de Frédérique Vidal

Frédérique Vidal s'est exprimée vendredi 22 mars 2019 en ouverture du colloque annuel de la C.P.U. : "Autonomie des Universités ?"

colloque CPU 22 mars 2019

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI

Je suis heureuse d’être parmi vous ce matin et d’ouvrir cette magnifique journée de colloque consacrée à l’autonomie de nos universités... Un sujet évidemment essentiel pour l’avenir de l’enseignement supérieur, de la recherche et de nos établissements qui doivent chaque jour davantage répondre aux enjeux territoriaux, nationaux et internationaux tout en tenant notre rang dans une compétition scientifique et universitaire internationale de plus en plus intense. 

Aujourd’hui, nous ne célébrons pas l’anniversaire d’une réforme achevée : l’autonomie est une marche, "une longue marche", même selon la formule de Christine Musselin, une marche qui a connu une étape décisive en 2007 et qui se poursuit depuis lors. 

Ce que je souhaiterais d’abord dire, d’emblée, et sans ambiguïté, c’est qu’il n’y a pas d’autre voie que de franchir ensemble une nouvelle étape dans cette marche vers l’autonomie des universités, une autonomie à la fois plus profonde, plus courageuse et plus exigeante, pour relever les défis qui sont devant nous. 

Les évènements qui jalonnent notre vie politique depuis l’automne dernier confortent en profondeur le choix de l’autonomie qui a été fait il y a 12 ans de cela. Ces événements mettent en effet en évidence les limites des politiques publiques lorsqu’elles sont uniformes et rigides. 

Les universités ne s’administrent pas depuis Paris – c’est l’évidence –, mais elles exigent bien un pilotage. C’est pourquoi il fallait faire confiance aux universités et à ceux qui les font vivre, aux présidents, aux équipes présidentielles,  administratives et aux communautés. Il fallait leur faire confiance pour prendre les décisions qui les concernent, pour bâtir leur projet, pour affirmer leur stratégie et se donner les moyens de les mettre en œuvre. 

Ce choix, aujourd’hui, a tout d’une évidence. Et pourtant, vous le savez mieux que quiconque, chère Valérie Pécresse : en 2007, cette évidence n’était pas universellement admise. C’est le moins que l’on puisse dire. Cette réforme porte votre marque et doit beaucoup à votre engagement personnel. Ce matin, la Ministre que je suis veut saluer la ministre que vous étiez alors, une ministre qui a su, avec courage, affirmer une vision, bâtir une politique et la défendre, par temps calme comme par temps agité. Le temps et les faits vous ont donné raison. 

L’autonomie, nous la devons aussi à ceux qui l’ont faite : aux présidents, individuellement et collectivement, bien sûr, et aussi à leurs équipes qui s’en sont saisies, qui ont su construire avec leurs communautés l’accession aux responsabilités et aux compétences élargies. Là aussi, rétrospectivement, les choses peuvent paraître simples et évidentes : ce fut pourtant un immense chantier, un déplacement considérable, qui a mobilisé, pendant des mois et des mois, toutes les énergies. 

Le résultat, nous le connaissons : l’autonomie, aujourd’hui, est un acquis, un socle que nul ne songerait à remettre en cause. Elle a traversé les alternances politiques et je veux saluer ce matin tous ceux qui, aux fonctions qui sont aujourd’hui les miennes, ont conforté ce choix. 

Il y a dix ans de cela, alors que les premières universités accédaient aux R.C.E., l’autonomie divisait. Aujourd’hui, elle rassemble. A tous ceux qui, parfois, caricaturent l’Université française, qui l’imaginent conservatrice, irréformable, repliée sur elle-même, l’autonomie est la meilleure des réponses : elle a démontré la capacité et la volonté de nos universités de se remettre en marche.

Enfin – et c’est sans doute le grand acquis de la L.R.U. –, l’autonomie a replacé les universités au centre du jeu. Longtemps mal connues, parfois mal aimées et prises dans un jeu de concurrence stérile avec les grandes écoles d’un côté et les organismes de recherche de l’autre, les universités sont revenues au cœur de notre enseignement supérieur, de notre recherche et de notre innovation pour une raison très simple : c’est dans les universités que ces trois dimensions essentielles de la vie académique se rejoignent. C’est dans nos universités que la recherche, la formation et l’innovation se construisent, se nourrissent et se diffusent. C’est cela la force du modèle universitaire, un modèle qui n’est pas réservé aux universités au sens juridique du terme, mais dont l’essence est de nourrir la formation par la recherche et de diffuser l’innovation par l’enseignement comme par la valorisation. 

Alors n’attendez bien évidemment pas de moi que je remette en cause d’une quelconque façon l’autonomie des établissements, mais n’attendez pas non plus un panégyrique sans nuance qui figerait le présent et amputerait l’avenir. Vous le savez comme moi : l’autonomie s’apprend, l’autonomie se gagne, l’autonomie responsabilise, l’autonomie a ses exigences. 

Et tout n’est pas encore achevé. Chacun le sent et le voit bien : il arrive encore à l’Etat de souhaiter faire à la place des universités et il arrive aux universités de souhaiter que l’Etat se substitue à elles. On ne corrige pas aisément des habitudes vieilles de plusieurs décennies... 

Il arrive également que certaines ambiguïtés refassent surface. L’autonomie n’est pas une fin en soi, elle ne se suffit pas à elle-même, elle suppose des moyens et elle doit être au service d’une politique ou d’une stratégie. Ces moyens, il revient bien sûr à l’Etat de les garantir, comme il vous revient de les renforcer en mobilisant des ressources propres. Et ils sont au service d’une politique qu’il vous revient de construire, dans le respect de vos objectifs, bien sûr, mais aussi de ceux que l’Etat fixe aux universités, qui sont les opérateurs de référence de notre politique d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation. 

Certaines craintes demeurent vivaces. Je pense notamment à la crainte d’une fragmentation de notre système d’enseignement supérieur. Ces inquiétudes, je les entends, mais je suis profondément convaincue qu’elles n’ont pas lieu d’être. 

Croire en l’autonomie, c’est en effet avoir la conviction que chaque université peut et doit être différente, parce que son histoire, ses forces scientifiques et pédagogiques, ses communautés, son territoire sont différents. Chaque université a son identité : vous le savez mieux que quiconque. 

Croire en l’autonomie, c’est donner à chaque université les moyens d’affirmer son identité, ce que j’appelle sa "signature". Cette diversité, nous devons l’assumer et la revendiquer collectivement : non pas pour catégoriser et séparer, mais pour défendre un modèle universitaire qui est ainsi capable de répondre, à l’échelle territoriale comme à l’échelle nationale, à des besoins collectifs qui sont eux aussi profondément différents. 

Mais cette diversité, je veux être très claire sur ce point, c’est à vous qu’il revient de l’affirmer et de la construire. A mes yeux, ce n’est pas le rôle de l’Etat que de définir, par avance, telle ou telle place pour telle ou telle université. C’est à chaque université de nous dire la coloration qu’elle entend se donner. Et c’est aux différents collectifs que vous formez, à travers la CPU, bien sûr, mais aussi à travers la CURIF et l’AUREF, par exemple, de dialoguer avec l’Etat pour construire les cadres qui permettront à chacun de s’affirmer. 

Des outils existent pour répondre à cette diversité de besoins et de situations. Je pense notamment à l’expérimentation qui est précisément faite pour cela. Nous l’avons utilisée pour travailler ensemble autour des dynamiques de rapprochement. Nous pourrions le faire dans d’autres domaines, si cela avait du sens à vos yeux. 

Le temps est donc peut-être venu, dix ans plus tard, d’un "acte II" de l’autonomie. Nous en avons fait, je crois, la démonstration au cours des 18 derniers mois, mais il faut aller plus loin encore. 

Pour illustrer, dans un premier temps, le renforcement de l’autonomie que nous avons d’ores et déjà accompli, je dirai d’abord un mot – car je me suis déjà beaucoup exprimée à ce sujet – de la réussite des étudiants. 

L’année dernière, un pas important a été accompli avec la loi ORE et les arrêtés Licence qui engagent davantage les établissements dans l’accompagnement des lycéens et des étudiants. 

Je tiens ainsi à saluer le formidable travail de description des formations et de leurs attendus qui a été réalisé et qui permet aux futurs étudiants de mieux s’orienter. Lutter contre l’accès inégal à l’information et bannir l’autocensure, voilà qui est déjà une réussite à mettre au crédit de la loi ORE. 

Le constat est le même avec la mise en place du contrat de réussite pédagogique et de la direction d’études. Là encore, l’objectif est de laisser une véritable autonomie aux établissements pour qu’ils puissent adapter leur offre de formation au plus près du profil et des projets de chacun. Il faut se mettre en capacité d’accueillir et de mieux faire réussir des étudiants divers !

C’est d’ailleurs tout l’esprit qui soutient la réforme de la PACES actuellement discutée à l’Assemblée. Créer de nouveaux modes d’accès aux études de santé nous a semblé crucial quand on sait le gâchis que représente souvent la sélection actuelle et, je dirais même, le « taux d’écœurement » qu’elle génère. Nous devons en finir avec une formation en santé formatée aux attendus pas toujours convaincants et aux évaluations dont il est difficile de savoir ce qu’elles révèlent comme compétence réelle.

Mais la réussite des étudiants passe aussi par leur qualité de vie et vous y jouerez, là encore, un rôle plus essentiel encore grâce à la CVEC. Vous disposez maintenant de 130 millions d’euros chaque année pour améliorer les conditions de vie des étudiants. 

A travers les CROUS et les établissements, la CVEC permettra un investissement sans précédent dans la vie étudiante, un investissement qu’il vous appartiendra, dans le cadre de votre autonomie, de définir : il pourra passer par le soutien des engagements locaux, des activités sportives, artistiques et culturelles ou par le financement du fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (F.S.D.I.E.). 

Le décret et la circulaire qui viennent de paraître vous reconnaissent ainsi une large marge de manœuvre. Ils vous invitent aussi à donner une priorité forte aux actions en faveur de la santé des étudiants, qui est au cœur du plan Etudiants et est une préoccupation permanente pour nous. Nous pouvons et nous devons faire mieux, en renforçant les actions et en les coordonnant mieux. 

 

Au-delà de la réussite des étudiants, il importait également que le renforcement de l’autonomie permette aux établissements de développer leur propre « signature ». En 2018, dès les premiers mois qui ont suivi ma prise de fonction, nous avons notamment travaillé en ce sens pour élaborer l’ordonnance relative aux nouveaux instruments de politique de site. 

Nous avons mis à votre disposition de nouveaux outils pour initier des regroupements, des rapprochements et des fusions à même de soutenir vos projets de formation et de recherche et de développer votre ancrage local ou votre rayonnement international. 

Là aussi, rien n’aurait été possible sans la reconnaissance préalable de l’autonomie des universités et vous êtes nombreux à vous être saisis de cette nouvelle opportunité. Vous avez dépassé vos cultures institutionnelles et disciplinaires pour vous emparer de cette ordonnance. Si nous parvenons ainsi à créer de "nouvelles universités transcendant la coupure historique entre universités et grandes écoles", nous aurons alors franchi une étape décisive.

Avec cette ordonnance, vous avez aussi développé des coopérations inédites entre établissements et avec les acteurs de l’entreprise, de la recherche et de l’innovation. Et je dois le dire, je suis heureuse et même fière d’avoir vu, en l’espace de quelques mois à peine, émerger des projets parfois très originaux qui font profondément bouger les lignes.

L’Université de Paris, qui est créé officiellement aujourd’hui puisque son décret constitutif est paru hier au Journal officiel, en est le meilleur exemple et je veux, ce matin, avoir un mot particulier pour Christine Clerici, Frédéric Dardel et Marc Chaussidon qui ont porté ce très beau projet. 

Ils vous confirmeront, si besoin était, que le ministère tout entier s’est mis en ordre de marche pour accompagner leur projet et permettre sa réalisation juridique dans des délais records. Et je veux saluer Brigitte Plateau qui s’est, vous le savez, engagée sans réserves, avec ses équipes, dans la rédaction et la mise en place de l’ordonnance et dans l’accompagnement des établissements. 

Cette politique de site consolidée par l’ordonnance trouvera un écho particulier en matière de recherche et de rayonnement scientifique. Et vous aurez noté, j’en suis certaine, que j’ai souhaité affirmer d’emblée une évidence, dont certains semblent parfois douter : les universités sont et doivent être parties prenantes, au même titre que les organismes, de la préparation de la loi de programmation de la recherche. 

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que nombre d’entre vous puissent être engagés dans les groupes de travail : Manuel Tunon de Lara, Sylvie Retailleau, Patrick Levy, Pierre Mutzenhardt, Mohamed Amara et Alain Fuchs sauront, j’en suis certaine, faire entendre la voix des universités dans la construction de cette ambition nouvelle pour notre recherche. 

C’est une occasion unique et je souhaite qu’à travers vous, les communautés concernées puissent être largement associées dans cette démarche. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé une grande consultation ouverte en ligne et je compte sur vous pour inviter chacun, dans vos établissements, à y participer. 

C’est un enjeu crucial pour l’Université. Seule une recherche de très haut niveau permettra aux universités françaises de renforcer leur rayonnement international... un rayonnement international qui nécessite, également, que chacun puisse être mis en capacité de développer sa propre politique d’attractivité internationale. C’est dans ce sens que j’appelle à une nouvelle alliance entre universités et organismes, entre enseignants-chercheurs et chercheurs. J’attends de vous que vous participiez pleinement à la consultation ouverte pour donner corps à cette nouvelle alliance.

Car même si la France a des atouts historiques, nous ne pouvons pas nous permettre de ne rien faire et de compter sur "la marque France". Cette marque existe, bien sûr, mais d’autres se développent et concurrencent fortement nos formations et notre recherche. 

Je ne reviendrai pas ce matin en détail sur la stratégie "Bienvenue en France". Nous avons déjà eu largement l’occasion d’échanger à ce sujet, avant comme après les annonces du Premier ministre. 

Je soulignerai un seul point : l’autonomie des universités a été placée au cœur de cette démarche. 

Autonomie dans la définition d’une stratégie d’attractivité propre qui appartient aux universités et à elles seules. 

Autonomie dans la construction d’une politique d’exonération, dans le respect du plafond fixé par le décret. Et il vous est parfaitement possible, dans ce cadre, de prévoir d’exonérer, par exemple, les étudiants venant d’un ensemble de pays prioritaires au titre de la politique d’aide au développement. 

Autonomie, aussi, dans la mise en œuvre de cette politique qui vous permettra, par exemple, de prévoir des exonérations totales ou partielles pour soutenir telle formation, accompagner tel public ou bien encore mettre en place des montants différenciés de droit propres à votre établissement dans la limite du montant fixé par le décret. 

Autonomie, enfin, dans la montée en charge progressive de la réforme puisque la liberté d’exonération qui vous est donnée dans la limite des 10% vous permettra de la mettre en œuvre à votre rythme. 

Cette autonomie des universités s’exerce, bien sûr, dans le cadre global fixé par l’Etat avec un objectif cardinal : mieux accueillir les étudiants internationaux à un moment où la concurrence s’accroit et où nos pratiques, dans ce domaine, ne sont largement pas au niveau des standards internationaux.  

J’entends et je respecte les interrogations de principe qui ont pu être formulées. Et si je ne les partage pas, c’est qu’en matière d’accueil des étudiants étrangers, nous devons passer des paroles aux actes. Pour cela, il faut des moyens. Et ces moyens, le Gouvernement ne sait pas, sur le long terme, les dégager autrement qu’en construisant avec vous un système redistributif. 

Pour permettre d’amorcer les choses, 10 millions d’euros sont d’ores et déjà en jeu. Comme je m’y étais engagée, la moitié de cette enveloppe vous a été notifiée au cours des derniers jours, afin de soutenir financièrement la mise en place ou la montée en puissance de bureaux d’accueil pour les étudiants internationaux. 5 millions d’euros supplémentaires seront engagés sur la base d’un appel à projet simplifié, qui a été publié ce mercredi.  

Je sais que vous aurez à cœur de vous en saisir, comme vous vous êtes saisis de l’appel à projets sur les universités européennes. Je dois le dire, là aussi, les initiatives ont été nombreuses et particulièrement remarquables.  

Ce faisant, et vous ne l’ignorez pas, vous envoyez un formidable signal en France, mais également en Europe. A l’heure du doute et du repli sur soi, à l’heure des raccourcis et des contre-vérités qui consistent le plus souvent à caricaturer plutôt qu’à expliquer, vous avez fait le choix de poursuivre votre développement en affirmant clairement votre nature profondément européenne. Nous en avions besoin. Car nous devons absolument renforcer la projection internationale des établissements. 

Au début du mois, la Commission européenne avait reçu au total 54 candidatures. Je vous en remercie sincèrement. J’y vois un motif de fierté et d’espoir collectif et je tiens à vous assurer, en conséquence, de tout mon soutien et de tout mon accompagnement.

Vos initiatives pour organiser des candidatures européennes illustrent bien l’esprit qui préside à l’autonomie des universités : la liberté de choisir, mais aussi le devoir d’organiser votre activité et d’anticiper votre développement. C’est la dernière caractéristique sur laquelle je crois important d’insister ce matin. L’autonomie induit la responsabilité et donc l’évaluation – interne ou externe –, et ce n’est pas un hasard si la loi de 2007 s’intitulait "Loi relative aux libertés et responsabilités des universités". 

Comme je l’ai déjà exprimé plusieurs fois, on ne peut pas donner leur autonomie aux universités sans leur donner les moyens de l’exercer. Cet impératif irrigue nos politiques d’enseignement supérieur et il en va de même pour le dialogue de gestion annuel que nous sommes en train de développer. L’Etat n’est pas omniscient et nos échanges réguliers sont nécessaires pour que nous puissions établir et mesurer vos priorités stratégiques et vous soutenir en conséquence. 

Comme vous le savez, et nous l’avons souvent constaté, l’allocation invariable des moyens d’année en année n’est pas optimale. Cela ne permet plus – depuis longtemps déjà – de prendre en compte vos projets et vos singularités. Nous en sommes arrivés au point où la subvention d’Etat n’est plus là que pour couvrir – parfois plus, parfois moins - les charges financières, là où les appels à projet, lorsqu’ils existent, permettent de prendre en compte vos ambitions spécifiques. 

C’est ce fossé qui s’est creusé entre allocation budgétaire et politique d’établissement que nous souhaitons commencer à combler avec ce dialogue de gestion qui doit lui-même s’inscrire dans le cadre d’un nouveau dialogue contractuel : un dialogue ambitieux, responsable, « qui dit les choses » et surtout qui en tire des conséquences. Je sais que ces conséquences sont souvent réduites à des questions financières, mais ce n’est évidemment pas tout. 

Ces conséquences doivent aussi être tirées sur le terrain et interroger notre capacité à permettre aux établissements de conduire plus efficacement leur stratégie. Une réforme territoriale de l’Etat est lancée. Nous aurons demain des recteurs délégués E.S.R.I., représentants de l’Etat, qui accompagneront vos projets, vos développements. Notre administration doit poursuivre sa déconcentration, tirer les conséquences de l’autonomie, défendre avec vigueur les missions fondamentales des universités et des organismes. Elle doit aussi travailler quotidiennement avec les régions qui montrent un intérêt croissant et légitime pour les questions de formation et d’innovation.

 

Sur ce sujet comme sur tous les autres, ne nous interdisons rien. Et les derniers 18 mois l’ont montré : nous sommes prêts à faire bouger les lignes institutionnelles et réglementaires pour gagner en simplicité, en efficacité et en attractivité. Vous savez combien l’attractivité des universités m’importe. Vous savez combien je regrette la caricature que l’on en fait parfois. A nous de montrer que nous sommes collectivement capables de changer le regard trop classiquement porté sur les universités. Voilà une nouvelle manière de vous faire confiance, de vous mettre en responsabilité et de tirer toutes les conséquences de votre autonomie.

Cette confiance – si chère à mon mode de fonctionnement – n’est cependant pas innée. Elle se gagne. Car une réelle autonomie repose nécessairement sur la capacité des établissements à évaluer la qualité de leur offre de formation et leur recherche pour, là encore, en tirer des conséquences. 

Je parle ici autant d’évaluation interne que d’évaluation par le H.C.E.R.E.S. qui, selon moi, doit de plus en plus constituer une agence de mesure et d’évaluation des résultats obtenus par les universités. J’ai eu l’occasion de le dire récemment pour la licence, mais cela concerne tous les domaines : la qualité de la formation et de la recherche, la qualité et la pertinence des stratégies retenues, la qualité de la gouvernance... Voilà tout ce qui doit être évalué et, surtout, être "dit clairement". 

Pour le dire autrement encore, l’autonomie de nos universités ne réalisera son plein potentiel que dans cet effort constant d’évaluation des résultats et de transparence, corollaire essentiel de l’exercice plein et entier des libertés qui leurs sont garanties. 

Je terminerai ces propos introductifs à votre belle matinée par quelques pistes qu’il nous faudra explorer ensemble pour renforcer encore davantage l’autonomie des universités et ses effets vertueux. 

Voilà ce que j’appelle "réaliser le plein potentiel" de l’autonomie des universités. Voilà ce que l’on pourrait appeler "l’acte II de l’autonomie". 

Certains d’entre vous, je le sais, ont exprimé leur intérêt pour un travail spécifique autour des questions d’emplois, de carrière et de gestion des ressources humaines. Je suis prête à l’engager avec vous, afin d’identifier ce qui pourrait avoir du sens dans l’intérêt des agents comme dans celui des établissements. 

Certaines questions seront sans doute posées dans le cadre des groupes de travail de la loi de programmation de la recherche, mais la discussion doit sans doute être plus large encore afin de réfléchir ensemble à la signification de l’autonomie dans le domaine des ressources humaines. Nous devons également identifier les obstacles qui viennent parfois limiter vos initiatives, lorsque vous souhaitez mieux reconnaître l’implication des personnels chercheurs dans les activités d’enseignement par exemple. 

Sur toutes ces questions, nous retrouverons, j’en suis sûre, le diptyque "libertés et responsabilités" : plus de liberté dans la définition des choix stratégiques et dans la construction d’une politique d’établissement, c’est aussi plus de responsabilités en matière de dialogue social et de qualité de gestion. Là aussi, l’autonomie est une exigence : l’exigence de faire mieux, au plus près du terrain et au plus près des agents. 

Pour conclure, et parce que c’est un projet qui me tient particulièrement à cœur, je crois que nous devons dès maintenant réfléchir collectivement aux moyens de mieux répondre aux besoins en formations professionalisantes dans nos territoires : pour les jeunes, évidemment, mais aussi par le développement de la formation tout au long de la vie. 

Nous avons déjà entamé un chantier essentiel sur les formations professionalisantes en organisant une vaste consultation avec les partenaires sociaux. Alors que les I.U.T. connaissent un succès croissant, nous souhaitons nous assurer que les étudiants titulaires d’un baccalauréat technologique puissent davantage y accéder, tout comme les bacheliers professionnels doivent pouvoir accéder, et réussir, en B.T.S.. Parcoursup a déjà permis des améliorations dans ce sens, mais nous devons maintenant donner aux établissements, et tout particulièrement aux universités, les outils qui leur permettront de façonner une offre de formation professionnalisante de premier cycle au plus près de leur stratégie. 

Cette offre de formation sera une nouvelle illustration de l'autonomie pédagogique des établissements et d’une compréhension évolutive du parcours de formation. Celui-ci doit en effet s’adapter au fur et à mesure de l'élaboration d’un projet professionnel. A tous ces égards, le décloisonnement des équipes enseignantes, des modules d'enseignement et des parcours de formation constituera un enjeu fondamental. Nous devons repenser notre premier cycle universitaire – spécifiquement le « professionnalisant » puisqu’il est encore organisé en silo – de manière ouverte, souple et jamais enfermante. L’important n’est pas que chacun puisse défendre son « territoire pédagogique ». L’important est que l’étudiant ait le sentiment « d’entrer à l’université » pour y suivre, s’il le souhaite et au moment où il le souhaite, une formation professionnalisante de qualité. Certains le sauront très vite et très tôt. 

 Certains voudront absolument appliquer ce qu’ils viennent d’apprendre. D’autres découvriront une appétence vers ce type de formation en cours de route. Peu importe, car les équipes enseignantes et les parcours seront pensés pour cet étudiant qui hésite, qui change d’avis et, parfois aussi, commence par échouer. 

Tout cela est évidemment crucial et entre en résonnance avec d’autres réformes en cours. Je songe bien sûr à la réforme des études de santé et à celle de la formation des enseignants, mais je pense également à une autre réforme à venir : celle de la formation tout au long de la vie. Je suis convaincue qu’il y a là une clé décisive pour accompagner l’émergence de la nouvelle économie de la croissance et de l’innovation, mais plus encore pour contribuer à donner aux jeunes et à la société tout entière une nouvelle espérance : celle d’avoir des universités construites pour donner à chacun tout au long de sa vie les moyens d’accéder à de nouvelles qualifications, de ne pas "rester au bord du chemin". Ce doit être notre contribution et notre proposition suite au "Grand débat". Je souhaite faire des propositions en ce sens dès que possible et j’appelle les vôtres avec force.

Aucun de ces changements ne se fera sans vous. L’acte II de l’autonomie ne pourra pas être un simple développement de l’acte I. Il devra se construire différemment, dans le dialogue permanent. Il devra faire toute sa place à la singularité des établissements, en vous permettant d’exercer ou de ne pas exercer des possibilités nouvelles. 

J’ai donc plus que jamais besoin de vous : à vous d’exprimer les besoins et les demandes qui sont les vôtres, à vous d’identifier et de formuler les libertés supplémentaires dont nos universités ont besoin. 

Cette démarche, elle doit être collective, bien sûr, et je sais que la C.P.U. y tiendra toute sa place. Mais elle peut aussi partir des besoins individuels que vous exprimez et elle pourra prendre la forme d’expérimentations. 

Ce que 10 années d’autonomie nous ont appris, en effet, c’est que l’on a toujours raison de faire confiance à l’Université et aux universités. Cette confiance, c’est le socle de notre relation : c’est sur celle, j’en suis certaine, que nous saurons bâtir cet acte II et que nous le ferons ensemble.