Publié le 29.01.2018

Lancement de la mission Campus d'innovation : discours de Frédérique Vidal

Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, s'est exprimée lundi 29 janvier à Strasbourg,  à l'occasion du lancement de la mission "Campus d'innovation" confiée à Jean-Lou Chameau. Son objectif : formuler des propositions pour renforcer la capacité d’innovation des sites universitaires. 

Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Il y a des occasions où la forme et le fond s'accordent en tout point, où la parole s'enracine dans un contexte qui la leste d'un poids particulier, parce qu'il en reflète parfaitement les enjeux. C'est le cas aujourd'hui.

Choisir Strasbourg pour vous parler d'innovation, c'était une sorte d'évidence. Son Parc d'innovation, sa SATT Conectus, et plus encore, son Université classée 1ère en Europe par Nature Index en 2017 pour son impact sur l'innovation, son Université pionnière dans le développement d'une culture collaborative, font de Strasbourg une terre d'innovation.

Ce que je suis venue vous dire aujourd'hui, c'est que la France tout entière, ce pays des idées, a tous les atouts pour devenir le pays des innovations. Elle foisonne de talents, de créativité et d'audace. La tradition d'excellence scientifique et universitaire qui fait son identité aux yeux du monde, doit désormais lui permettre de se positionner en leader et non en suiveur de l'innovation.

Apprendre, chercher, trouver, inventer : entre ces gestes que nous maîtrisons et celui d'innover, une véritable continuité mérite d'être cultivée. Cette continuité, c'est celle du savoir qui irrigue la société pour mieux la transformer. Cette continuité, c'est celle de l'audace scientifique qui trouve son prolongement dans le courage industriel. Cette continuité, c'est au sein des sites universitaires qu'elle doit s'exprimer, sous la forme d'une relation de confiance et d'échange entre formation, recherche et entreprise. 

Inventer le monde de demain plutôt que le découvrir, tel est l'enjeu de nos politiques d'innovation. On ne peut pas réduire l'innovation à une invention qui rencontre son marché. Derrière l'idée qui se mue en produit, il y a des start-up qui émergent, des P.M.E. qui accroissent leur compétitivité, des entreprises qui prennent un leadership. L'innovation, c'est la vitalité même de notre économie. L'innovation détient aussi les réponses à des défis sociétaux et planétaires majeurs, des changements climatiques à l'allongement de la durée de la vie, de la prise en charge du handicap à la nécessité de nourrir une population mondiale croissante. Ainsi, l'innovation n'est rien de moins que la science en acte, la science qui s'engage dans la transformation du monde. 

Le 21e siècle est celui de l'hyper-innovation qui imprime un tempo inédit à nos économies, bousculées par des changements rapides, nombreux et inéluctables. Dans un monde où tout s'accélère, si nous voulons garder la maîtrise de notre avenir et le construire plutôt que le subir, le renforcement de notre modèle d'innovation s'impose comme un impératif. Or, c'est bien le propre de l'innovation de ne répondre à aucune commande, à aucun processus préétabli, et de s'étioler sous la contrainte. L'innovation vit de liberté, d'ouverture, de tentatives, d'échecs et de rebonds.  Elle vit de mouvement, d'expérimentation et d'aléas. On pourrait presque dire qu'elle se nourrit de coïncidences heureuses tant la sérendipité joue un rôle important dans sa genèse. Cela signifie-t-il pour autant qu'elle est le fruit du hasard ? Bien sûr que non. Car l'inattendu se cultive et s'accueille. Et c'est cet état d'esprit que je voudrais encourager au sein des sites universitaires, c'est cette dynamique qui les transformera en véritable campus d'innovation d'envergure mondiale.

Le campus d'innovation repose sur deux idées fortes. D'une part, l'innovation s'alimente à une source privilégiée, celle du savoir, et c'est au sein des campus, des laboratoires, des organismes partenaires, que la connaissance se renouvelle, s'actualise, s'affute. S'installer dans un campus, c'est se poster au plus près de la recherche en train de se faire, à l'avant-garde de la science, là où l'impossible d'aujourd'hui prépare l'usage de demain. Ce patrimoine scientifique, que notre recherche d'excellence s'emploie à revivifier sans cesse, possède et possèdera toujours une valeur intrinsèque : celle d'étancher cette soif d'inconnu et de sens qui fonde la dignité humaine. Mais, j'en suis convaincue, la science n'a pas seulement une portée morale et philosophique, elle a aussi un pouvoir pratique : elle a vocation à frayer avec la vie, à surgir dans le quotidien des citoyens, à s'imposer comme un moteur du progrès économique et social. Pour que le savoir ne soit pas seulement une valeur mais une force de transformation du monde, le champ de la connaissance, de sa production, de sa transmission, doit se concevoir comme un espace de vie et de partage, ouvert sur la cité, ancré dans un territoire.

C'est pourquoi le site universitaire représente l'échelle idéale pour penser, susciter et développer l'innovation. Bien sûr, je ne nierai pas l'importance des grandes initiatives européennes ou nationales. L'agence européenne d'innovation de rupture appelée de ses vœux par le Président de la République, le fonds de 10 milliards d'euros créé par le gouvernement afin de soutenir l'innovation dans des domaines stratégiques, sont destinés à imprimer un élan général. Mais cette dynamique ne s'exprimera pas de la même manière dans chacun des territoires de notre pays : leur diversité est une formidable richesse qui interdit de penser l'innovation hors-sol, qui interdit de l'enfermer dans un canon abstrait, identique pour tous. Je le redis, l'innovation n'obéit à aucun patron et c'est peut-être cela qui nous désarçonne nous français, attachés à l'abstraction, à la déduction et à la spéculation, qui aimerions tant penser la grammaire de l'innovation avant d'en parler le langage. Il est grand temps de faire confiance au terrain, à la pratique et à l'expérience. 

L'innovation n'est pas non plus une alchimie mystérieuse qui nous condamnerait à l'impuissance et à la passivité. Si elle n'est pas réductible à un protocole, elle suit néanmoins certains principes et son ressort le plus profond est aussi le plus simple : l'innovation repose sur l'échange et la rencontre. Si l'on peut être individuellement inventif et créatif, on est rarement innovant tout seul. L'innovation est une aventure résolument collective. Et c'est ce collectif que le campus d'innovation est le plus à même de créer et de souder, par des liens de confiance fondés sur une connaissance mutuelle et des échanges quotidiens. Le campus d'innovation a la taille suffisante pour rassembler sur un même site les acteurs majeurs de l'innovation : les universités et les écoles, les laboratoires, les start-up, les entreprises, les incubateurs et les structures d'accompagnement, juridiques ou commerciales. Mais il est aussi assez resserré pour leur permettre de se rencontrer et de dialoguer. Car l'innovation, quelles que soient les technologies sur lesquelles elle s'appuie, notamment numériques, ne peut se passer de cette épaisseur humaine. Réunir sur un même site les entrepreneurs, les chercheurs, les enseignants-chercheurs, les étudiants, c'est créer un cycle de la connaissance, c'est pouvoir, dans un même geste, produire du savoir, le partager et le transformer. C'est articuler le penser, le faire et l'agir. 

L'innovation naît du choc des cultures. La vocation du campus d'innovation est d'étendre les surfaces de contact entre la recherche, la formation et l'entreprise, car c'est là, à la lisière de ces mondes résolument différents dans leurs pratiques et leurs modes de pensée, que les idées neuves éclosent et mûrissent. Multiplier les points de rencontre et les interfaces, décloisonner, c'est créer des espaces collaboratifs de type makerspace ou fablabs, c'est permettre à l'étudiant de faire de la recherche dès sa première année,  c'est inviter les industriels dans les laboratoires, c'est simplifier les contrats de recherche, c'est enseigner l'entreprenariat, c'est encourager la création de start-up par des étudiants et des chercheurs en les accompagnant à chaque étape.

Parce que l'innovation est aussi un état d'esprit, au-delà des dispositifs et des structures, les campus d'innovation seront aussi les creusets d'une nouvelle culture entrepreneuriale, un entreprenariat éclairé, un entreprenariat à la française, qui conjugue connaissance universelle, exigence intellectuelle, expérimentation et audace. Nous devons construire un autre rapport au risque et à l'échec. Notre goût pour les raisonnements abstraits et la perfection formelle ne doit plus être un frein à l'action mais un outil d'analyse de nos erreurs qui nous permettra de rebondir d'autant plus vite vers un nouvel essai, et d'épouser au plus près le temps de l'innovation.

Les sites universitaires ont pris conscience de la nécessité de se concevoir comme des écosystèmes complets d'innovation et ils sont, à des degrés divers, déjà engagés dans cette dynamique de transformation. Mon objectif est de les accompagner dans cette voie, d'accélérer ce processus de métamorphose. Mais il n'est pas possible de changer sans connaître ses points forts et ses points faibles. L'évaluation est un préalable incontournable au progrès.

C'est pourquoi j'ai confié à Jean-Lou Chameau une mission sur les campus d'innovation. Parce que je suis convaincue que la méthode doit être en adéquation avec l'objectif poursuivi, c'est sur la science, l'esprit critique et l'ouverture que reposera la démarche de Jean-Lou Chameau. Sa personnalité, son parcours, incarnent déjà ce pas de côté incontournable à toute velléité de changement. Les pas de côté, la sérendipité, Jean-Lou Chameau y est habitué : lui qui croyait franchir l'Atlantique pour une année de master à Stanford a finalement mené une grande partie de sa carrière aux Etats-Unis, à la vice-présidence de Georgia Tech, puis à la tête de Caltech, pour se lancer ensuite dans une autre aventure, celle de la présidence de KAUST, l'Université des sciences et technologies du Roi Abdallah en Arabie Saoudite. Son regard neuf, celui d'un homme qui souhaite mettre au service de son pays une expérience internationale hors du commun, est déjà, en soi, un marqueur d'innovation. Par ailleurs, il adoptera une méthode expérimentale, fondée sur l'échantillonnage. Pour respecter le tempo de l'innovation, cette mission sera courte et concentrée. Jean-Lou Chameau sera en effet amené à étudier trois sites universitaires, à Strasbourg, Rennes et Montpellier, afin d'établir un diagnostic individualisé et comparé de leurs atouts et de leurs limites en matière d'innovation. Il identifiera les bonnes pratiques susceptibles d'être adaptées dans d'autres sites et les freins structurels, géographiques, culturels, juridiques et financiers à l'innovation. Les propositions qui découleront de cette analyse sont destinées à conforter le potentiel de ces trois sites pour en faire de véritables catalyseurs d'innovation mais aussi à profiter à l'ensemble des campus français. Tous les sites ont vocation à s'inscrire dans cette dynamique, en valorisant leur spécificité et en s'appuyant sur les forces de leur territoire. Le dialogue, avec tous les acteurs de l'écosystème, et notamment les régions et les élus locaux, sera un élément clé de cette mission.

"Il faut oser ou se résigner à tout" disait Tite-Live. Se résigner à ce paradoxe français qui positionne notre pays au 6e rang mondial en matière de recherche et au 16e en matière d'innovation ? C'est impossible. Je prends le parti de l'audace, je suis convaincue que nos sites universitaires en feront autant, parce que se lancer de nouveaux défis, repousser les frontières de l'inconnu, c'est le cœur de leur activité quotidienne, et l'innovation n'est rien d'autre qu'un nouvel espace à conquérir. Il est à notre portée, les campus ont déjà franchi le premier pas, et la mission confiée à Jean-Lou Chameau les aidera à faire les suivants pour enfin gagner ce pari de l'innovation dont dépend le progrès économique et social de notre pays.