Publié le 13.12.2019

Cérémonie de remise des médailles de l'innovation du CNRS 2019

Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, en compagnie d'Antoine Petit, Président directeur général du C.N.R.S., a remis le 12 décembre, les médailles de l'innovation 2019 aux lauréats Ane Aanesland, Vance Bergeron, Orphée Cugat et Livio de Luca.

Médaille de l'Innovation CNRS 2019

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI

Il y a deux semaines, nous étions rassemblés à l'occasion des 80 ans du C.N.R.S. pour partager avec le Président de la République sa vision de la recherche, libre, exigeante, créatrice, si créatrice qu'elle en arrive à transformer la marche du monde. Je suis très heureuse de vous retrouver ce soir pour prolonger ce moment en célébrant l'innovation, cette brèche par laquelle la science s'engouffre dans notre quotidien et façonne notre avenir.


A l'heure où l'on questionne régulièrement la finalité du progrès, à l'heure où les avancées technologiques divisent, nous avons besoin de construire ensemble un nouveau récit de l'innovation, plus généreux, plus responsable, plus humain, et je crois que vos histoires en offrent la meilleure des trames.


La diversité de vos parcours, de vos personnalités, de vos domaines de recherche, montre que l'innovation n'a pas de territoire de prédilection : elle s'épanouit aussi bien dans la physique des plasmas que dans le génie électrique et les sciences du patrimoine, avec une préférence pour les zones de frottement, pour les carrefours disciplinaires où se croisent humanités et numérique, physique et neurologie, pour les doubles cultures qui conjuguent l'ingénierie et la recherche, ou bien encore la France, la Norvège et les Etats-Unis.


Loin de découler de vos travaux scientifiques de manière mécanique, linéaire et prévisible, vos innovations se sont nourries d'allers-retours, de rebonds entre des questionnements fondamentaux, des réalités socio-économiques et des expériences de la vie, y compris les plus personnelles et les plus douloureuses, preuve que l'innovation peut aussi être une forme de résilience. On apprend beaucoup de l'innovation en regardant vos start-up, on voit ce qu'elle doit à la liberté de chercher, d'expérimenter, d'échouer et de recommencer, mais aussi ce qu'elle doit à la contrainte, à la nécessité de repousser ses limites.


Les voies de l'innovation sont certes impénétrables, mais dans votre cas, elles débouchent invariablement sur un même horizon : la société, ses défis, ses attentes, ses failles. Un vélo qui permet à des jambes paralysées de bouger à nouveau, un dispositif d'analyse biologique mobile qui diagnostique le VIH en 15 minutes, une bouche d'aération qui produit de l'énergie à la manière d'un moulin à vent, un propulseur de satellite hyper compact, des monuments virtuels qui sont leur propre centre documentaire : vos innovations ont cette magie, ce génie de l'invention, que l'on vient admirer dans les expositions universelles, et en même temps, au-delà de l'émerveillement qu'elles suscitent, elles répondent aux grands défis contemporains de l'inclusivité, de l'égalité devant la santé, de la transition numérique, du développement durable, de la démocratisation et du rayonnement de la culture.


Chacune des startups issues de vos travaux démontre que oui, au-delà de la virtuosité technologique, au-delà de la valorisation économique de la connaissance, au-delà de l'accélération de la compétitivité de nos entreprises, l'innovation peut avoir un sens, celui de l'humain, celui du bien commun.


Avec Thrustme, chère Ane Aanesland, vous démontrez qu'il est tout à fait possible de dépasser le clivage entre croissance et impact sociétal. En soutenant le développement des constellations de micro satellites grâce à vos systèmes de propulsion plus petits et plus efficaces, non seulement vous prenez résolument le virage du New space mais vous participez à trois enjeux majeurs : celui de la surveillance de la Terre, celui de la connectivité mondiale, celui d'un Espace sûr et durable.


Le temps est aussi une valeur à laquelle vous tenez, cher Livio de Luca.


Les dispositifs que vous développez pour numériser et documenter le patrimoine en agrégeant les points de vue, que ce soit à travers la start-up Mercurio ou la plateforme collaborative Aïoli, recouvrent les monuments et les objets du passé de nouvelles couches de sens, les livrent à de nouvelles interprétations, leur donnent une nouvelle dimension, une nouvelle épaisseur, une nouvelle lisibilité, et parfois même, une nouvelle vie, comme en témoigne le chantier de restauration de Notre-Dame.


C'est aussi de santé et de renaissance dont il est question dans votre parcours cher Vance Bergeron. La science est une forme de résistance contre l'impossible.


Cette conviction qui anime tous les chercheurs, vous en êtes devenu la preuve vivante, en expérimentant sur votre propre corps des solutions pour redonner de la mobilité à des membres paralysés.


Vous avez ainsi transformé un drame personnel en espoir de mieux-être, physique et moral, pour toutes les personnes atteintes de handicap.


Cette formidable réussite, vous la devez à un mental d'acier, à votre âme de chercheur et à une fibre créative qui, par-delà les changements de caps scientifiques et les aiguillages de la vie, constitue le véritable fil conducteur de votre carrière, puisqu'avant la start-up Circles et la stimulation électrique fonctionnelle, il y a eu AirinSpace et la décontamination biologique de l'air par plasmas froids.


Cette capacité à défricher sans cesse de nouveaux terrains est aussi votre marque de fabrique cher Orphée Cugat. Pour vous l'invention est avant tout une forme d'exploration : c'est cette curiosité qui vous a poussé à faire une thèse après votre formation d'ingénieur Arts et métiers, c'est cette culture hybride qui vous permet aujourd'hui de traduire vos résultats scientifiques en une multiplicité d'applications jusqu'à en exprimer toute la fécondité.


Les start-up Enerbee et MagIA Diagnostics sont toutes deux issues de vos recherches sur le magnétisme et les micro-aimants, mais l'une rend intelligents des systèmes de ventilation pour contrôler la qualité de l'air, tandis que l'autre révolutionne le dépistage de maladies qui touchent les populations les plus vulnérables.


C'est la preuve, s'il en fallait encore une, qu'un même questionnement scientifique peut irriguer des secteurs d'activité radicalement différents, que cette fécondité est imprévisible et qu'en prétendant la téléguider, on prend toujours le risque de se priver d'une partie de ses fruits.


On le voit, chacune de vos start-up, chacune de vos innovations porte la marque de vos personnalités et de vos histoires singulières.


Pourtant, ce sont aussi, en même temps, des aventures collectives, des victoires par équipe.


Vous avez chacun, à vos côtés, des complices, des compagnons de route - un collègue chercheur, un ancien doctorant - et au-delà, une équipe, une unité mixte, un territoire, - lyonnais, grenoblois, marseillais, francilien - et aussi bien sûr, un organisme, le C.N.R.S..


Contrairement aux idées reçues - et c'est l'un des nombreux mérites de cette année de célébration de l'avoir rappelé - l'innovation est une préoccupation ancienne du C.N.R.S. ; si Jean Perrin, l'un de ses pères fondateurs, défendait avec autant de chaleur la recherche libre, c'est parce qu'il était convaincu que seule cette liberté, cette audace un peu frondeuse pouvaient présager de vraies ruptures dans nos manières de vivre, de soigner, de produire, d'apprendre.


Mais du front des connaissance à la réalité de l'entreprise, du marché, du citoyen, il y a un passage à trouver, et le C.N.R.S. n'a eu de cesse de le creuser, de le faciliter, ouvrant la voie à plus de 1400 start-up depuis 1999 et à plus de 140 structures de recherche communes avec des entreprises.


Derrière ces beaux succès, il y a une politique volontariste qui aujourd'hui change d'échelle en visant 3 priorités stratégiques, partagées avec l'Etat dans un contrat d'objectif et de performance qui sera signé prochainement : la première c'est l'accompagnement des chercheurs et des travaux qui portent le germe de l'innovation, du repérage précoce des projets prometteurs jusqu'à la maturation en SATT en passant par le programme RISE ; la deuxième, c'est l'intensification des relations avec les entreprises, notamment grâce aux Labcom, cette forme de partenariat souple, agile, que le C.N.R.S. a développée en pionnier.


La troisième, c'est l'approfondissement de la coordination au sein des sites, avec les universités, les écoles, les autres organismes et l'ensemble des acteurs du transfert présents sur le territoire.


Accompagnement, porosité entre les mondes, ancrage territorial : ces pistes de réflexion et d'action ne concernent pas uniquement le CNRS mais tout l'écosystème français de recherche et d'innovation. C'est pourquoi elles sont également au cœur de l'élaboration de la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche.


Ce texte est une occasion formidable de changer notre manière de penser, de susciter et de soutenir l'innovation.


Je l'ai souvent dit, et vous le savez tous les 4 mieux que personne, le chemin est long de l'idée lumineuse au nouveau service, au nouveau produit qui rentrera dans le quotidien du citoyen et nous avons besoin d'insuffler à nos pratiques de transfert toute la bienveillance, toute l'attention possible pour ne pas qu'elle s'éreinte en cours de route.


Cette préoccupation doit être présente à toutes les étapes, dès le laboratoire, dans le regard que nous posons sur l'innovation et sur ceux qui s'y engagent.


L'innovation encore trop souvent perçue comme un produit dégradé de la recherche alors même que de très belles questions scientifiques peuvent en surgir et ce préjugé pèse sur la reconnaissance de cet engagement dans la carrière des chercheurs.


Il vous a fallu une bonne dose de courage et de persévérance pour conduire vos recherches, pour développer leurs applications, et il vous en a sans doute fallu deux fois plus pour vous aventurer dans des mondes qui n'étaient pas les vôtres, que ce soit celui du marketing ou celui du business : nous voulons faire en sorte que le parcours soit moins ardu, moins solitaire, plus balisé et plus rapide pour ceux qui vous emboîteront le pas.


Pour cela, il faut aussi que le monde académique et le monde de l'entreprise aillent davantage au contact. Tout comme on peut comprendre, apprécier et partager des expériences avec quelqu'un qui ne parle pas la même langue et n'a pas exactement les mêmes valeurs, la sphère publique et la sphère privée peuvent faire de leurs différences de culture et de pratiques une source de créativité mutuelle. Si nous nous sommes largement défaits de nos réticences respectives, il faut désormais passer de rencontres ponctuelles et prudentes, sur des segments bien délimités, à des relations de confiance et de long terme sur un large spectre ; autrement dit, la conversation polie et cordiale doit céder la place à des échanges à bâtons rompus dans tous les domaines. Cette augmentation du flux des idées passe par une plus grande circulation des hommes : la loi PACTE a déjà fait beaucoup en la matière, mais nous pouvons aller plus loin encore en facilitant la mobilité croisée des chercheurs, du public vers le privé et du privé vers le public, à différents moments de leur carrière.


C'est l'une des nombreuses modalités d'un principe qui doit désormais prévaloir dans tous les aspects de nos politiques d'innovation : la simplicité. De nos règles de gestion de la propriété intellectuelle à l'articulation de nos structures de valorisation en passant par la coordination des stratégies régionales, nationales et européennes, nous devons systématiquement viser la simplification, la transparence et la lisibilité, et c'est dans nos territoires, au sein de nos sites, que cette chorégraphie doit s'orchestrer.


La diversité de nos pratiques et de nos dispositifs, qui est un véritable atout quand elle reflète la signature scientifique et industrielle de nos territoires, peut aussi, lorsqu'elle n'est pas maîtrisée, lorsqu'elle ne sert plus que sa propre cause, faire écran à l'attractivité de notre recherche.


Or nous avons plus que jamais besoin aujourd'hui de laisser rayonner sans entraves l'excellence et la créativité de nos chercheurs. Deux d'entre vous, chers lauréats, sont nés et se sont formés à l'étranger, aux Etats-Unis et en Norvège, et ont choisi la France pour poursuivre leurs recherches et créer leur start-up.

Je n'aurais pas la prétention d'affirmer que l'air y est plus pur, le terrain plus fertile ou les moyens plus larges.


En revanche, je suis certaine d'une chose : la confiance dans la science y est profonde, ancienne, chevillée au corps de la Nation. Une terre d'excellence scientifique depuis toujours, une terre d'innovation demain, c'est ainsi que nous nous pensons, c'est ainsi que nous nous présentons au monde.


C'est bien plus qu'une image que l'on convoquerait pour se rassurer, c'est bien plus qu'un mythe aux couleurs passées ou une prophétie autoréalisatrice, c'est une identité vivante, une identité qui se cultive, que ce soit par de grandes initiatives collectives comme MOPGA ou par ce choix, individuel, de se lancer dans un doctorat à l'issue de son master, c'est une identité qui implique aujourd'hui un réengagement, humain, financier, économique, philosophique, sociétal, et je suis convaincue que nous serons tous l'Etat, la communauté, les entreprises, les citoyens - présents à ce rendez-vous, qui est un rendez-vous avec l'avenir.


Cet investissement généreux et optimiste, vous en êtes l'incarnation même, et au-delà des réussites entrepreneuriales qui en découlent, je voulais aussi vous féliciter et vous remercier pour cette énergie porteuse des plus grandes espérances.

Merci à tous.

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