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Publication hebdomadaire (ISSN : 2110-6061)

Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche

Expression publique des chercheurs

nor : ESRH2305712V

Avis du 17-2-2023

MESR - DGRH A2-1


Vu décret n° 2017-519 du 10-4-2017 ; arrêté du 1-3-2018 ; règlement intérieur du Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche

Le Collège, réuni dans sa formation plénière, a adopté dans sa séance du 17 février 2023 l’avis suivant :

Le Collège a été saisi, courant 2022, de questions relatives à l’expression publique des chercheurs. La première émanait du président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en date du 14 janvier 2022, et interrogeait le Collège sur les questions déontologiques pouvant se poser à l’occasion « d’expression publique controversée des chercheurs et enseignants-chercheurs ». La seconde, en date de mai 2022, émanait du président de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui souhaite recueillir l’avis du Collège sur la charte d’expression publique des chercheurs. L’Inrae souhaitait « s’assurer que la charte d’expression publique, élaborée par l’organisme, satisfaisait aux exigences de la liberté d’expression, et notamment aux garanties particulières dont cette liberté est entourée pour les chercheurs ». Le président du CNRS, Antoine Petit, et le président de l’Inrae, Philippe Mauguin, accompagné par la déléguée à la déontologie, l’intégrité scientifique et l’éthique madame Simon-Plas, ont été auditionnés par le Collège respectivement le 20 mai 2022 et le 27 janvier 2023. Il a paru souhaitable au Collège de synthétiser dans un même avis, rendu public, les réponses apportées à ces organismes, avis qui vient compléter celui relatif aux libertés académiques rendu par le Collège le 21 mai 2021.

Même si elles ont connu un regain d’actualité dû notamment aux controverses survenues pendant la pandémie et au développement de l’expression sur les réseaux sociaux, les questions soulevées par les saisines ne sont pas nouvelles. Elles ont été traitées dans la recommandation de l’Unesco de 1997 concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur[1], dans la charte de déontologie des métiers de la recherche 2005, signée par tous les organismes de recherche français et la conférence des présidents d’université (CPU), dans l’avis du Comité d’éthique du CNRS de 2022 sur la communication en cas de crise[2], ainsi que dans l’avis précité du Collège de déontologie. Ces différentes réflexions convergent vers quelques principes communs qu’il apparaît important de rappeler.

Comme l’indique le Code de la recherche (article L. 112-1), la recherche publique (organismes comme universités et leurs personnels) a une mission de diffusion des connaissances scientifiques et de contribution à l’amélioration du débat public sur la science. Pour le comité d’éthique du CNRS, les chercheurs ont un devoir éthique : « contribuer à l’élévation du niveau de culture scientifique de la population. » Cet impératif d’éclairage du débat public justifie le recours à de la communication sur les réseaux sociaux et à l’utilisation des blogs ou à l’intervention de chercheurs comme experts dans les médias. Dans la mesure où cette expression publique fait partie intégrante des métiers de la recherche, elle reste soumise aux principes déontologiques des métiers de la recherche.

Ces principes, rappelés dans les documents précités[3], sont clairs et convergents. La recommandation de l’Unesco indique que « l’enseignant-chercheur lorsqu’il intervient oralement ou par écrit dans un contexte extra-universitaire sur des questions qui ne relèvent pas de sa spécialité veille à ne pas induire le public en erreur sur la nature de sa compétence personnelle ». L’article 3 de la charte européenne de déontologie des métiers de la recherche précise que « Le chercheur exprimera à chaque occasion à quel titre, personnel ou institutionnel, il intervient et distinguera ce qui appartient au domaine de son expertise scientifique et ce qui est fondé sur des convictions personnelles ». L’avis du comité d’éthique du CNRS est formulé en des termes analogues. « En s’exprimant dans l’espace public, le chercheur engage sa responsabilité de scientifique. S’il fait état de sa qualité, il doit préciser à quel titre il prend la parole : en spécialiste apportant son expertise sur le sujet débattu, en tant que représentant de l’organisme de recherche ou d’une institution, ou bien à titre de citoyen engagé voire de militant. » Le collège de déontologie approuve entièrement cette distinction fondamentale et regrette que ces textes, et notamment la charte de déontologie des métiers de la recherche, ne soient pas mieux connus au sein de la communauté scientifique. Ces textes permettent de guider le chercheur dans son expression publique.

La charte d’expression publique du chercheur proposée par l’Inrae complète heureusement le dispositif en proposant une typologie des situations propre à assurer cette fonction de guide. Elle rappelle justement que le chercheur (ou enseignant-chercheur) ne peut engager l’institution à laquelle il appartient que dans le cadre de ses missions statutaires et qui lui sont confiées par l’organisme : recherche, formation, expertise, mais aussi diffusion de ses travaux et renforcement de la culture scientifique. La question se pose alors de la mention de l’institution d’appartenance du chercheur en cas d’expression publique. Comme le souligne le document établi par l’Inrae, revendiquer dans son mode d’expression l’appartenance à l’institution implique « d’être en mesure de faire un lien direct ou tout au moins suffisant entre le sujet de l’expression d’une part et les activités confiées par l’institution d’autre part ». Il faut en outre distinguer la nature de l’intervention. La référence à l’institution d’appartenance peut en effet s’apprécier différemment selon qu’il s’agit d’une présentation de ses propres travaux de recherche, d’une contribution au débat scientifique, d’une synthèse de l’état de la science ou d’une opinion personnelle. Il est des cas où il est préférable de préciser que l’article ou l’opinion n’engage pas l’institution d’appartenance du chercheur. La référence à l’appartenance institutionnelle devrait être proscrite lorsque le chercheur / l’enseignant-chercheur sort clairement de son champ de compétences. Dans ce dernier cas, l’intéressé peut mentionner sa qualité de chercheur / d’enseignant-chercheur, sa discipline, mais ne doit pas faire référence à son institution d’appartenance. Ce principe, qui ne correspond pas toujours aux pratiques en vigueur, doit être appliqué avec mesure, en tenant le cas échéant compte de pratiques différentes selon les champs de recherche et les institutions.

Le Collège a bien noté, au cours de l’audition, que la charte d’expression publique de l’Inrae n’avait aucun caractère normatif et visait à aider le chercheur. Il a également noté l’effort d’accompagnement et de formation qu’a accompli l’organisme pour sa mise en œuvre et pour son appropriation par les personnels. Dans ces conditions, le Collège a considéré que la Charte assure un juste équilibre entre la préservation de l’image de l’institution et la liberté d’expression des enseignants-chercheurs et des chercheurs.

Enfin, compte tenu de la mixité fréquente des équipes et des unités de recherche entre différentes institutions, le Collège de déontologie ne verrait que des avantages à ce qu’émerge, comme pour la charte de déontologie des métiers de la recherche, un document commun sur l’expression publique des chercheurs et enseignants-chercheurs s’appliquant aux organismes de recherche, et, avec les adaptations nécessaires, aux établissements d’enseignement supérieur et aux conférences qui les réunissent. La réflexion engagée par l’Inrae constitue une base de travail. En tout état de cause, les établissements qui souhaiteront s’engager dans cette voie devront accomplir un travail d’accompagnement et d’appropriation par les personnels analogues à celui de l’Inrae.

Cet avis sera rendu public.

Le président du Collège de déontologie,
Bernard Stirn

[1] Recommandation de l’Unesco du 11 novembre 1997 concernant la condition des enseignants du supérieur, et notamment sa section VII, Devoirs et responsabilités du personnel enseignant de l’enseignement supérieur : https://www.unesco.org/fr/legal-affairs/recommendation-concerning-status-higher-education-teaching-personnel.

[2] Avis du comité d’éthique (COMETS) du CNRS n° 2021-42 du 25 juin 2021, Communication scientifique en situation de crise sanitaire : profusion, richesse et dérives (https://comite-ethique.cnrs.fr/wp-content/uploads/2021/09/AVIS-2021-42.pdf).

[3] Voir aussi le rapport de l’université de Lausanne « L’engagement public des universitaires : entre liberté académique et déontologie professionnelle » : https://www.unil.ch/files/live/sites/centre-durabilite/files/pdf/rapport-gt-unil-recherche-et-engagement.pdf.

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