Publié le 10.02.2022

Des espaces réinventés avec les usagers

Une co-élaboration qui garantit des usages adaptés et une bonne appropriation.

Paroles d’Acteurs du Sup

La transformation des campus

L'action 1.1 du projet DUNE EOLE (Développement d'universités numériques expérimentales - Un Eng@gement pour ouvrir l'éducation) s'inscrit pleinement dans la continuité de la démarche Mut@camp de l'Université de Lorraine, dédiée à l'évolution des espaces physiques d'apprentissage. Cette action est née de la volonté de mettre en synergie deux réflexions :

  1. la nécessité de mettre en adéquation les lieux et l'évolution des pratiques pédagogiques (avec plus de modularité et de flexibilité) ;
  2. l'intégration plus large des campus en intégrant des lieux de vie et de partage répondant à de nouveaux usages estudiantins.

Pour ce faire, deux volets ont été déployés :

L'évolution de trois espaces en prolongation de la démarche de design thinking (DT) initiée à l'Université de Lorraine dans le cadre de Mut@camp :

La modélisation en 3D de six espaces effectuée en s'appuyant sur l'expertise des deux écoles d'architecture de Nancy et Strasbourg :

À cette occasion, les étudiants ont pu :

  • implanter des dispositifs d'apprentissage mobile et numérique dans un lieu existant ;
  • inclure des ambiances d'apprentissage ;
  • opérer et expérimenter un interfaçage entre un lieu physique existant et un environnement immersif.

Une démarche co-élaborative 

Afin d'assurer d'une appropriation et d'une adhésion des usagers, trois espaces ont été réalisés via une démarche de DT sur plusieurs sites pilotes de l'Université de Lorraine :

  • site 1 : l'École nationale supérieure des industries chimiques (ENSIC) ;
  • site 2 : 
    • la galerie de Brabois Ingénierie (qui connecte l'École nationale supérieure d'électricité et de mécanique (ENSEM) ;
    • l'École nationale supérieure d'agronomie et des industries alimentaires (ENSAIA) ;
    • l'École supérieure nationale de géologie (ENSG) ;
  • site 3 : le Campus Lettres et sciences humaines de Nancy.

Une démarche de design thinking, c'est quoi ?

La démarche de DT permet de concevoir des espaces avec les usagers qui les vivent et les animent. À l'inverse d'autres approches de l'innovation qui mettent la technologie ou le modèle économique au premier plan, le DT est centré sur l'humain. Il s'agit, en partant des usages concrets, des vécus et des points de vue des usagers, de les amener à imaginer des évolutions, des ruptures et tester avec eux des prototypes pour aboutir à des solutions réalistes et "à leur main". Ce type de démarche permet de penser les espaces en favorisant l'intelligence collective et en ne confiant plus exclusivement la réflexion aux experts de la spatialisation, de la technique et aux décideurs, mais en impliquant les usagers qui en bénéficient. À la différence d'une conduite de projet traditionnelle, le processus de co-design est :

  • cyclique et itératif ;
  • fondé sur la conception avec des tests sur le terrain ;
  • orienté usagers car ces derniers peuvent être considérés comme des sujets d'observation, de véritables partenaires qui imaginent des solutions ;
  • soutenu par une évaluation continue qui permet de réorienter le projet à tout moment.

Par cette démarche de DT, trois espaces choisis pour leur complexité et la pluralité des acteurs qui les fréquentent ont été conçus avec les usagers. Dans la pratique, des recueils de données et des observations ont été effectués pour entrevoir des perspectives d'évolutions futures :

  • recueil des trajectoires ;
  • perceptions ;
  • représentations ;
  • aspirations.

En pratique à l'Université de Lorraine

Sur le premier site (ENSIC), l'équipe projet souhaitait repenser un amphithéâtre vétuste de 100 places en un espace adapté aux nouvelles pédagogies. Après une concertation avec les usagers, cet espace a été transformé en quatre salles flexibles destinées à l'enseignement par projet et un espace de convivialité. Cette co-élaboration a permis l'expression des besoins des usagers pour déterminer leurs priorités. Pour le deuxième site (Galerie ENSAIA-ENSEM), il était souhaité de stimuler la vie de campus et d'aménager la galerie commune aux deux écoles (200 m2) et des galeries annexes (240 m2). La concertation des usagers et la phase de prototypage in situ a permis d'ajuster les aménagements souhaités avant les travaux de réfection et de faire l'acquisition de mobilier dont des équipements semi-fixes pour :

  • la détente ;
  • les échanges informels ;
  • la petite restauration.

Ces équipements stimulent la vie du campus à un tel point que d'autres évolutions sont envisagées comme un point de restauration CROUS.

Galerie ENSAIA-ENSEM

Le troisième site (CLSH) accueille plus de 8000 étudiants. La démarche DT était essentielle pour déterminer et prioriser les besoins des étudiants et des personnels. La concertation avec l'ensemble des usagers a permis la création d'un foyer étudiant de 90 m2 ouvert de 7h à 21h30. Multifonctionnel, cet espace permet ainsi aux étudiants de venir s'y détendre, s'y poser et se reposer. Il est aussi pensé pour le travail individuel et de groupe. Enfin, les étudiants peuvent venir y déjeuner avec leur repas "tiré du sac" puisque des micro-ondes et un point d'eau sont mis à leur disposition. De plus le projet a été complété par l'aménagement des espaces extérieurs.

Une expérience valorisée

L'action 1.1 de DUNE EOLE et l'expérience Mut@camp ont permis d'acculturer les personnels dont les missions sont d'aménager et de créer des espaces, à la concertation et la co-élaboration, avec par exemple une démarche de DTPar ailleurs, la Direction du Patrimoine Immobilier de l'établissement s'est emparée de cette méthode. La Délégation d'Accompagnement à la Créativité, l'Ingénierie et la Pédagogie (DACIP) a élargi son offre de services sur le principe du design thinking. Forte de cette expérience, l'Université de Lorraine a contribué à la rédaction du guide Espaces Universitaires : osons le co-design et le design thinking pour :

  • encourager les démarches émergentes au sein des établissements d'enseignement supérieur ;
  • valoriser les retours d'expérience ;
  • contribuer à repenser les modes de prise de décision afin de les ancrer dans un processus plus participatif.

La modélisation des espaces en 3D 

Les Écoles d'architecture de Strasbourg et Nancy expérimentent l'utilisation d'un Environnement Virtuel Éducatif (EVE). L'objectif est de réinterroger les modalités et espaces d'apprentissage, les pratiques pédagogiques à l'aide de dispositifs immersifs. L'utilisation de la réalité virtuelle pourrait favoriser une forme d'autodidaxie, de collaboration entre pairs et un séquençage entre l'espace physique et l'espace virtuel.

Cet environnement, dont l'expérimentation est toujours en cours, pourrait permettre d'adapter les espaces existants aux nouvelles approches pédagogiques dans une démarche de Design Thinking, en considérant l'étudiant comme "designer as a self organizing system"1. La notion de designer comme auto-organisateur "implique l'usage de la pratique réflexive, lors de laquelle le concepteur va se prendre comme objet de sa propre réflexion afin d'expliciter la façon dont la démarche intellectuelle est organisée permettant de la formaliser et de la rendre compréhensible"2.

L'étude du rapport spatialité/pédagogie

Deux enseignants-chercheurs à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Nancy, ont mis en place une réflexion prospective grâce à des cours optionnels de Master. Dans ce cadre, ils questionnent et expérimentent l'aménagement de Nouveaux Espaces d'Apprentissage et leurs pédagogies associées. L'existence de ces enseignements pragmatiques se justifie par la double posture d'enseignants-chercheurs et d'architectes. Ils interrogent « le rôle propre des espaces pédagogiques tant du côté de la forme que de celui de l'usage » par les approches pédagogiques particulières des études en architecture3.

Les nombreux projets témoignent d'une réflexion sur les séquences d'apprentissage, sur la complémentarité des espaces physiques et virtuels, de la co-création d'une architecture virtuelle impermanente et d'un apprentissage par et pour les étudiants. Certains projets démontrent une approche très sensible en questionnant l'importance des cinq sens ou l'impact des émotions sur la conception et la réception d'espaces architecturés. Ces projets mettent en avant l'un des risques potentiels de la réalité virtuelle : la transcription des sens ou des émotions en signaux et en formes peut conduire à « une surcharge informationnelle ». Celle-ci pourrait amener certes à des espaces complexes, interactifs et en principe intéressants, mais aussi à faire perdre la lisibilité et la compréhension de l'espace. Comment en effet répondre à un programme spécifique ou même analyser le résultat à partir de cela ?

L'expérimentation d'un EVE pour la co-création spatiale et pédagogique

Un Environnement Virtuel Éducatif (EVE) a été développé pour développer et adapter les pratiques pédagogiques à un public issu en majorité de la "génération Z". Ce public n'a connu qu'une société fondée sur un outillage et une culture numérique prédominante. L'environnement développé a trois ambitions :

  1. poser les bases d'un outil immersif de conception des ambiances d'apprentissage ;
  2. expérimenter les interactions avec des données quantitatives et qualitatives dans un environnement virtuel en lien avec l'espace physique ;
  3. étudier les spécificités des études d'architecture.

En plus des expérimentations des étudiants, des prototypes d'interfaçage entre la réalité physique d'un lieu existant et un environnement immersif en réalité virtuelle ont été réalisés. Le protocole de cette expérimentation est le suivant : il s'agit de créer des modèles paramétriques afin de générer des variantes dans les propositions de projet ou dans l'étude des ambiances (images de simulations calculées en fausses couleurs). Ces propositions sont crées depuis l'interface Grasshopperpuis exportées dynamiquement dans Twinmotion. L'immersion se fait ensuite grâce à un casque de réalité virtuelle. Grâce à la synchronisation semi-automatique entre les plateformes Grasshopper et Twinmotion/UnrealEnginel'étudiant peut :

  • faire défiler les différentes propositions spatiales via le menu interactif ;
  • superposer les informations quantitatives (images de simulation) aux informations qualitatives (l'espace du projet dans sa morphologie, avec ses matériaux, etc.).

L'une des conditions favorisant l'immersion réside dans la continuité et la fluidité entre espaces physique et virtuel. La technologie Rhino.Inside et des développements OpenSource donne des solutions basées sur des protocoles d'échanges d'informations en temps réel entre Grasshopper et les plateformes UnrealEngine et Unity. L'idée est d'immerger l'étudiant dans un projet paramétrique informé, capable d'évoluer par le biais de commandes interactives mettant en jeu des interactions entre des données objectives ou subjectives. En superposant et manipulant des informations qualitatives/quantitatives, sensibles/physiques, un environnement sémiotique et phénoménologique se construit, dans lequel l'étudiant/apprenant (en tant que designer comme auto-organisateur) peut appréhender les ambiances qui en résultent dans une perception dynamique et rythmée par ses actions. Cela aurait pour conséquence de réduire le risque de "surcharge informationnelle".

En conclusion

Les étudiants ont vite intégré que les espaces physique et virtuel n'étaient substituables ni antagonistes, mais bien complémentaires dans les modalités de conception et d'usages.Pour les enseignants-chercheurs, le travail par séquences d'apprentissage s'est confirmé avec la conception d'un enseignement dans l'espace physique, poursuivi dans l'espace virtuel. Il est aussi apparu un besoin de lier l'expérience virtuelle à une expérience sensible, sensorielle, dans les expérimentations. L'expérience montre que les étudiants considèrent la réalité virtuelle comme un espace d'apprentissage et d'expérimentations, et non comme un outil de visualisation ou de rendus. Enfin, l'utilisation libre de l'EVE par les étudiants a mis en exergue des questions fondamentales dans la conception d'espaces d'apprentissage et dans l'apprentissage de l'architecture :

  • spatialité et temporalité de l'architecture ;
  • liens entre espaces physique et virtuel ;
  • rapport entre corps, émotions et espaces ;
  • influence de l'outil sur le processus de conception ;
  • réflexivité, autodidaxie et adaptation des pratiques ;
  • séquences d'apprentissage ;
  • place des sens dans l'élaboration du projet.

Bibliographie

  1. Jones, J.C. (1970). Design Methods. Hoboken : Editions John Wiley & Sons
  2. Descamps, N. (2017). De l'algorithme à la ville, vers un Minecraft IRL, mémoire de M2, ENSASsite ISSUU
  3. Touvenot, E., Varano, S. (2019). Les espaces d'apprentissage, action 1.1. Faire évoluer les espaces physiques

Auteur(s)

  • Responsable "axe créativité pédagogique"
Nathalie Issenmann
  • Responsable du Service Universitaire d'Ingénierie et d'Innovation Pédagogique (SU2IP)
Université de Lorraine
Sandro Varano
  • Maître de conférences

Partenaire(s)