Publié le 12.02.2025

Discours de Philippe Baptiste à l’occasion de l’ouverture du Séminaire Perspectives spatiales

Philippe Baptiste, ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a prononcé un discours le mercredi 12 février 2025 à l’occasion de l’ouverture du Séminaire Perspectives spatiales « Compétitivité et souveraineté : Quelles ambitions pour la filière spatiale française ? ».

SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI

Monsieur le député européen, 

Mesdames et Messieurs les parlementaires, 

Monsieur le Président, cher Guillaume,

Mesdames et Messieurs en vos grades et qualité,

Je suis heureux d’être avec vous ce matin pour inaugurer cette nouvelle édition du séminaire « Perspectives spatiales ». 

Heureux d’être ici, mais grave. 

Je n’irai pas par quatre chemins, car je crois qu’il n’est pas exagéré de dire que nous sommes face à un risque existentiel. 

LA SITUATION EST CRITIQUE

La situation que nous traversons est critique. 

Elle est critique car notre filière spatiale, française et européenne, va mal. 

Elle est critique parce que nous sommes confrontés à une nouvelle donne dans le spatial au niveau mondial.. 

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, avec Elon Musk à ses côtés, va avoir des conséquences considérables. 

L’ensemble de nos collaborations sont mises en risque. 

Que va-t-il advenir du programme Artemis, de l’exploration lunaire, si l’attention des Etats-Unis se porte vers Mars ? 

Que va-t-il se passer pour nos missions communes sur le climat ? 

Et que va-t-il en être des partenariats en matière de défense et de business ?

Vous savez comme moi que le spatial est devenu le nœud de nos sociétés, de son implication dans les guerres modernes à la gestion de nos vies quotidiennes, de nos téléphones aux champs de bataille d’Ukraine.

Les télécommunications, la navigation, l’observation de la terre : tout cela montre le succès du spatial – et en même temps, cette omniprésence a nourri de nouvelles vulnérabilités. 

Dans cette période absolument charnière, il est impératif que tous les acteurs français du spatial avancent ensemble pour surmonter ces vulnérabilités. Vous avez pour cela, non pas 1, ni 2 mais bien 3 ministres pleinement engagés et convaincus. Et ce n’est pas de trop !

La double tutelle que mon ministère assume avec Bercy, incarne la nécessité d’une vision stratégique partagée pour la souveraineté française et européenne – une perspective qui doit intégrer simultanément la nécessité d’une recherche de pointe, d’investissements ambitieux et d’une industrie compétitive. 

Je voudrais donc vous partager quelques convictions sur ce que doit être, selon moi, cette vision commune.

L’ESPACE EST UN ENJEU DE SOUVERAINETE POUR LA FRANCE ET L’EUROPE

Première conviction : nous devons garantir une autonomie stratégique européenne pour tous les besoins critiques qui dépendent du spatial. Je mentionnais à l’instant les télécommunications, la navigation et l’observation – aujourd’hui nécessaires pour notre prospérité.

Je pense aussi au renseignement militaire et très concrètement à la manière dont les communications ont été rendues possibles en Ukraine grâce à Starlink.

En la matière, nous ne pouvons pas nous reposer sur d’autres acteurs. 

A ce titre, IRIS², la nouvelle constellation de satellites européenne, sera un programme européen stratégique, absolument déterminant pour la maîtrise de nos télécommunications et qui permettra à nos industries de prendre le tournant de nos communications en orbite basse. C’est une étape décisive pour la structuration d’une industrie satellitaire à la hauteur de nos besoins souverains. Mais reconstruire l’autonomie stratégique européenne, cela signifie d’abord que nous devons garantir un accès autonome à l’espace. 

C’est-à-dire notamment : regarder en face la question des lanceurs. 

Cette année sera déterminante à cet égard, avec le prochain lancement d’Ariane 6. 

Aujourd’hui, c’est notre seule porte autonome vers l’espace. Il peut exister des tentations de préférer Space X, de dire qu’Ariane 6 est trop cher, que Falcon 9 est plus fiable. 

Ne cédons pas à ces tentations, car alors nous fermerons définitivement notre porte pour l’espace. 

Et il n’y aura pas de retour en arrière possible.

Nous devons préserver ce qui existe, mais nous devons aussi et surtout préparer le futur, nous demander ce que doit être l’avenir des lanceurs européens, dans une approche d’autonomie stratégique.

Cela veut dire de répondre concrètement à ces questions : combien de satellites voulons nous lancer en Européens ? pour quoi faire ? et quels sont nos besoins en matière de lanceurs qui en découlent ?

Et que voulons-nous dire lorsque nous parlons de « lanceur européen » ? 

En la matière, nous devons porter l’ambition du « ITAR-free ». 

Cela signifie que les briques technologiques essentielles doivent être conçues et produits en Europe. Pour notre souveraineté et celle de l’Europe.

Le futur des petits lanceurs européens se prépare aussi cette année, notamment à travers les challenges ouverts à la compétition – comme cela a été annoncé à Séville. La France doit être présente sur ce segment dès cette année. 

L’autonomie stratégique de l’Europe et de la France passe aussi par une base spatiale, le Centre Spatial Guyanais. C’est la raison pour laquelle j’ai confié un mandat au CNES pour renégocier l’accord nous liant à l’ESA afin d’opérer des lancements privés depuis le CSG, ce qui doit marquer une étape importante pour mieux prendre en compte l’enjeu stratégique qui s’attache à la base spatiale pour la France.

LA SOUVERAINETE PASSE PAR LA COMPETITIVITE DE L’INDUSTRIE SPATIALE EUROPEENNE

Tout ce discours sur l’autonomie stratégique ne tiendra pourtant pas si nous ne parvenons pas à être compétitifs. 

Je l’ai déjà dit l’année dernière et je souhaite vous remercier de votre implication pour le projet IRIS². Mais je le répète cette année avec ma nouvelle casquette, pour ainsi dire : il nous faut une industrie plus compétitive.

Nous dépendons de vous, industriels français et européens, émergents ou établis, pour subvenir à nos besoins stratégiques. 

Nous avons besoin de vous, de la conception à la production, pour proposer des offres à des prix soutenables. 

Tout cela suppose le développement d’une industrie réellement compétitive.

Je ne suis pas plus naïf que vous devant le dumping pratiqué dans notre secteur, comme dans d’autres d’ailleurs, avec un soutien massif et assumé des Etats. 

Mais nous pouvons faire mieux, avec les atouts qui sont les nôtres. 

Il faut d’abord être innovant, c’est-à-dire d’abord investir massivement dans la recherche technologique. 

L’histoire du spatial est celle d’une conquête scientifique et technologique, celle aussi de véritables disruptions. 

Et c’est la recherche qui permet de développer des systèmes de lancement plus efficaces, des matériaux plus légers, des transmissions de meilleure qualité. 

En cela, je crois que les laboratoires ont un rôle considérable à jouer, en tant qu’éclaireurs de notre obscurité spatiale.

Et soyez convaincus que lorsque je dis « laboratoire », je pense aussi bien aux équipes de R&D industrielle qu’aux laboratoires institutionnels.

Et lorsqu’une innovation émerge, nous devons collectivement réussir à transformer l’essai du passage à l’échelle.

Les laboratoires doivent enfin nous aider à construire une vision stratégique et à anticiper les changements de paradigme.

Nous devons être innovants, nous devons aussi être concurrentiels. 

L’Etat et les agences doivent bien sûr encourager la concurrence. 

C’est notre ambition dans le domaine des lanceurs, comme je le rappelais tout à l’heure.  

Mais là encore, la naïveté n’est pas permise. 

Il faut que notre approche de la concurrence prenne en compte les réalités de la compétition internationale, une compétition qui est aujourd’hui particulièrement féroce. 

Et permettez-moi de le dire, nos concurrents n’ont en la matière aucune naïveté. 

Nous devons être innovants et concurrentiels, mais cela ne suffit pour garantir la compétitivité.

Car la compétitivité repose aussi sur l’investissement privé. 

Je n’ai pas peur de le dire clairement : les industriels – c’est-à-dire, vous - devez prendre vos responsabilités. 

Le chemin vers notre souveraineté existe, mais il est étroit.

Il passe, et c’est mon dernier point, il passe par une réflexion ambitieuse et sans tabou sur la gouvernance du spatial européen.

LE LEVIER DE LA SOUVERAINETE C’EST UNE GOUVERNANCE REPENSEE

Notre organisation actuelle a porté des fruits. 

Mais elle est née dans un contexte technologique et géopolitique qui n’avait rien à voir avec celui que nous connaissons aujourd’hui. 

C’est pourquoi nous devons regarder en face ses limites, et agir en conséquence. 

Cela vaut à l’échelle nationale, où nous devons éviter de passer, encore une fois, à côté des virages stratégiques majeurs qui nous mettront demain en difficulté.

Nous devons avoir un ou deux coups d’avance. 

In fine, notre droit à l’erreur est plus limité que celui de nos compétiteurs qui peuvent se permettre d’investir dans de nombreuses technologies différentes en attendant de constater celle qui sera la plus intéressante.  

Et là, la nécessité de l’Europe devient évidente. Face à nos compétiteurs, nous devons unir nos forces. C’est tout simplement une question d’ordre de grandeur. 

Le fonctionnement actuel a nourri par le passé une montée en compétences collective. 

Aujourd’hui, ce même système – je pense notamment au retour géographique – est responsable d’une fragmentation de nos capacités industrielles, ce qui est une des raisons les plus directes de notre fragilité dans la compétition spatiale mondiale. 

Nous devons donc sortir de ces vieux paradigmes pour faire grandir et faire naître des champions européens capables de s’asseoir autour de la table du spatial mondial.

Aujourd’hui, l’ESA assume un portage à la fois politique et technique du spatial européen. 

La Commission européenne aurait toute légitimité pour reprendre le flambeau du portage politique. 

La volonté à ce sujet est claire à Bruxelles. J’ai d’ailleurs eu l’opportunité de rencontrer le nouveau Commissaire à la défense et à l’espace, M. Kubilius. Je me réjouis que la Commission affiche une ambition importante pour le secteur spatial, qui a vocation à se traduire dans le prochain Cadre financier pluriannuel.

Nous devrons contribuer à façonner cette vision européenne : il s’agit bien de construire une base industrielle européenne et souveraine. Le concept de préférence européenne sera donc central. 

Ce changement serait une étape, et je le crois, une étape incontournable, sur la voie de notre compétitivité et notre souveraineté collectives.

NOUS DEVONS FAIRE LES BONS CHOIX

Nous voici donc face à des choix essentiels, sinon existentiels, pour la recherche et l’industrie spatiales françaises et européennes. 

Cette année sera décisive, à commencer par le deuxième lancement pour Ariane 6 dans deux semaines avec, à bord, CSO3. Un double enjeu donc pour la souveraineté française. J’espère être à Kourou pour y assister. 

Je pense aussi au Bourget, aux négociations à venir sur le cadre financier pluriannuel de l’Union Européenne, à la conférence ministérielle de l’ESA. 

Cette année, nous devrons être audacieux et créatifs, nous devrons prendre ensemble des risques nouveaux.

Je suis sûr que je peux compter sur vous. 

Vous pourrez, soyez-en sûrs, compter sur moi. 

Je vous remercie.

Contact

Service presse du ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

0155558200