SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI
Madame la première ministre, chère Elisabeth Borne,
Monsieur le ministre, cher Jean-Noël Barrot,
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs, en vos grades et qualités
Quel plaisir de me trouver parmi vous, à l’occasion des cent ans de la Cité international universitaire de Paris. En arrivant, je contemplais tous les bâtiments de la cité. Dans ce quartier de Paris, au milieu du rythme trépidant de la ville, je redécouvrais l’image qu’ils offrent, celle d’une multiplicité de cultures, réunies dans une profusion de créativité architecturale.
Ce campus exceptionnel est la traduction concrète de l’idéal que porte l’université française. L’universel est bien sûr au cœur du mot, mais aussi de l’idée d’université. Tout le sens de l’université se joue là-dedans : dans la rencontre, dans la confrontation.
Marc Bloch écrivait ainsi dans L’étrange défaite : « Que chacun dise franchement ce qu'il a à dire, la vérité naîtra de ces sincérités convergentes. » Oui, l’université doit être le lieu de ces sincérités convergentes, contradictoires, qui s’affrontent et s’affermissent, s’affinent dans le libre débat d’idées.
C’est vrai à l’échelle d’un amphi, d’un établissement, d’un pays. C’est vrai à l’échelle internationale.
J’ai eu la chance de mener une carrière universitaire. Ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu, c’est que la science, la réflexion, le travail académique se nourrissent du dialogue.
Au cours de ma carrière de chercheur, j’ai pu travailler aux Etats-Unis, en Australie, j’ai eu la chance d’enseigner au Vietnam et d’accueillir des étudiants vietnamiens en France. Chaque fois, j’ai vécu la rencontre, rendue possible par la recherche commune de la vérité dans la science. Chaque fois, j’ai constaté l’importance de cette rencontre pour progresser dans le travail scientifique.
Cette science partagée à l’échelle du monde, c’est une chance de notre temps
Une chance, que certains aient cru possible - malgré les conflits, parfois à cause d’eux – une chance que certains aient cru possible de bâtir un monde fondé sur l’échange, l’accueil mutuel, au-delà des ressentiments. La Cité universitaire est née de cette conviction et de cette ambition. En mettant les échanges universitaires au principe de son existence, ses fondateurs ont fait une déclaration de confiance à la liberté universitaire. Liberté qui est un fruit de la paix, et qui possède aussi la graine – ou le noyau – de la paix future.
C’est aussi un des principes fondateurs de l’Union européenne, évidemment. Le succès immense du programme Erasmus en est un signe visible, et réjouissant. En Europe aujourd’hui, je pense que quand on demande quels sont les grands succès européens, beaucoup de personnes répondent spontanément : Erasmus. C’est l’incarnation la plus évidente du rêve européen, qui a été un rêve de paix, mais aussi d’échange et de rencontre. Ce n’est pas un hasard si ce rêve a pris corps dans le champ universitaire, dont nous contemplons ici, à la Cité U, une autre manifestation.
Voici donc un fruit, mûri depuis longtemps, et dont nous héritons. C’est un héritage précieux. Nous voyons aujourd’hui combien il est fragile. Nous avons cru que ce qu’avaient préparé, pour nous, nos devanciers devait durer toujours. La situation internationale nous oblige à retrouver une certaine intranquillité, et une grande exigence.
La mise en cause de la science aux Etats-Unis fragilise la circulation des idées, des personnes. Elle fragilise l’idée d’université que nous avons reçue en partage. Je songe aux mots de Jean Jaurès dans sa lettre à la jeunesse, une magnifique méditation sur le courage et le refus de la guerre : « le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ». Nous devons préserver comme horizon l’idéal de l’universel ; nous devons regarder le réel en face, y compris quand il fragilise cet idéal.
La France et l’Europe doivent être au premier plan pour reprendre le flambeau de la liberté académique et universitaire, pour assumer l’accueil des chercheurs et des étudiants qui ne peuvent plus rester, ou aller, aux Etats-Unis. Je suis très engagé sur le sujet, avec mes homologues européens.
Pour moi, c’est aussi un sujet personnel. Au début des années 2000, je travaillais aux Etats-Unis, dans le cadre de mes travaux de recherche. J’étais à New York au moment du 11 septembre, j’ai partagé le choc de mes collègues, de mes amis, américains ou travaillant aux Etats-Unis. Ce que je connais de cette grande nation d’universitaires et de chercheurs, de ce pays qui s’est construit si largement sur l’accueil et sur la rencontre des cultures, me rend insupportable la situation présente.
Voici notre réel, soyons fidèles à notre idéal pour préparer celui de demain.
Je regardais les parcours de quelques alumni de la Cité U. On ne compte plus les romanciers, les hommes et femmes politiques, venus du monde entier, qui ont passé ici quelques mois ou quelques années. Les chercheurs n’ont pas manqué non plus, de Severo Ochoa, prix Nobel de médecine espagnol, à Luc Vinet, physicien, recteur de l’université de Montréal. Je pense aussi à Michael Edwards, professeur au Collège de France, qui nous a si bien appris le plaisir de la rencontre entre les langues.
Et tant d’autres.
Sans doute, les uns et les autres ont trouvé ici le terreau de leur vocation. Sans doute, parmi les résidents d’aujourd’hui, certains portent en eux les germes qui donneront les penseurs, les chercheurs, les universitaires de demain.
Il y a cent ans, la Cité internationale universitaire de Paris sortait de terre. Un siècle n’a pas suffi à épuiser sa nécessité, pour un monde où s’épanouisse la rencontre et la paix, en particulier par l’enseignement et la recherche. Savourons ce qui a été accompli, et œuvrons ensemble pour bâtir les 100 ans à venir sur ces valeurs partagées.
Goûtons ce fruit reçu, et soyons conscients qu’il nous revient de le préserver à notre tour. Car, comme nous le dit Chrétien de Troyes,
Les choses que l’on cueille en passant
N’ont pas la douceur ni la saveur
De celles dont on paie le prix.
Je vous remercie.