Publié le 03.02.2023

Discours de Sylvie Retailleau pour le Symposium de CentraleSupélec

Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a prononcé un discours mercredi 1er février 2023 , à l’occasion du Symposium de CentraleSupélec.

Discours

SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI

Bonsoir à toutes et tous,

Je suis très heureuse d’être parmi vous ce soir, et vous remercie sincèrement pour votre invitation. Je vais d’ailleurs tenter d’être brève dans ce propos introductif pour nous laisser le temps d’échanger.

J’aimerais introduire cette soirée avec quelques réflexions générales sur la place et le rôle de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de ses acteurs bien sûr, dans notre société.  

Notre époque est à la fois prometteuse et, aussi, porteuse d’inquiétudes. Prometteuse, parce que nous repoussons sans cesse les frontières de la connaissance et découvrons chaque jour de nouvelles possibilités et, en même temps, porteuse d’inquiétudes parce que cela signifie que tout peut être amené à changer radicalement.  

Nous sommes dans un monde de transitions (comme, par exemple, la transition écologique et énergétique, la transition numérique, ou encore la transition démographique) qui amèneront des changements parfois assez radicaux.

Je crois, avec optimisme, que les défis auxquels nous faisons face sont aussi porteurs d’opportunités. Pour la scientifique que je suis, ces défis peuvent être vus comme un exaltant "problème" à résoudre. Et, sachant que je parle à une assemblée d’ingénieurs et d’ingénieurEs en devenir, vous savez tous ici qu’un problème n’est jamais sans solution. Un problème insoluble n’est rien d’autre qu’un faux problème.

Alors, au-devant des incroyables transformations que nous sommes amenés à rencontrer, mais également à initier, la question de la place et du rôle de l’enseignement supérieur et de la recherche dans la société et dans le débat public est centrale. Et je suis véritablement contente de l’aborder aujourd’hui avec vous.

On peut l’aborder sous l’angle de l’engagement et, notamment, puisque je m’adresse à vous ce soir, de l’engagement étudiant.

Cet engagement peut, bien sûr, prendre plusieurs formes. S’engager est un mot d’une rare polysémie, puisqu’on s’engage tout autant en politique que dans la recherche, dans la vie professionnelle, associative ou familiale. S’engager peut vouloir tout dire, ou rien du tout. Si ce n’est que l’on ne s’engage jamais pour soi, mais pour les autres.

En tant que ministre, ma responsabilité est de permettre aux établissements d’enseignement supérieur d’être des lieux qui suscitent et favorisent cet engagement. Mais susciter ne suffit pas, il faut également donner les moyens de le réaliser.

Si je prends l’exemple de l’engagement entrepreneurial, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche récompense et finance, chaque année depuis 9 ans, les projets aboutis des étudiants dans l’innovation avec le prix Pépite. Votre établissement peut valoriser vos activités bénévoles, de volontariats et autres engagements.  Le service civique ou encore le volontariat à l’étranger avec le Corps européen de solidarité ou le Volontariat de solidarité internationale sont aussi aujourd’hui facilités et reconnus dans le parcours de l’étudiant. Ces engagements étudiants, que ce soit dans les associations, dans le sport, la culture, et leur reconnaissance, sont cohérents avec le fait que l’on participe aussi à la formation de citoyens éclairés.

Mais la question ne se résume pas à la période étudiante de la vie. La place dans le débat public du chercheur, de l’ingénieur, du médecin, du scientifique, du savant, et la manière dont il dialogue avec les responsables politiques et avec le public, est également une question centrale.

Alors, évidemment, plusieurs questions se posent, dont celle de savoir si les chemins du scientifique et du politique sont parallèles ou, au contraire, orthogonaux.

En somme, est-ce que science et politique font bon ménage ? Je ne vais pas faire durer le suspense, la physicienne devenue ministre que je suis pense, vous vous en doutez, que c’est possible et peut-être même important de rendre cela plus naturel et considérer la valeur ajoutée de ces profils.

En France, en remontant dans l’Histoire, plusieurs scientifiques se sont distingués par leur engagement politique. L'affaire Dreyfus a suscité des prises de position de certains scientifiques, comme le physicien Jean Perrin, Émile Borel, Pierre et Marie Curie ou Paul Langevin. Les Einstein, Langevin et autres Curie ont pris des positions politiques et utilisé leur notoriété et le statut public associés à leurs travaux scientifiques. D'autres encore ont eu des mandats politiques par nomination à un ministère : on se rappelle bien sûr d’Irène Joliot Curie et de Jean Perrin et c'est le cas aussi plus récemment de Claudie Haigneré, d'Agnès Buzyn ou de Frédérique Vidal, qui n'ont jamais brigué de mandat électif. Il y a aussi ceux qui se lancent dans des mandats électifs comme Cédric Villani ou Léon Schwartzenberg, ou encore Jean-Michel Blanquer, docteur en droit qui a aussi été ministre.

La reconnaissance de la parole du scientifique, de l’apport de ses compétences hors champ de sa spécialisation, passe aussi par la valorisation du doctorat, et bien sûr non seulement pour des carrières académiques mais aussi pour des carrières en entreprises et dans la haute fonction publique.

Afin d’ouvrir à d’autres perspectives de carrière qu’académique, la formation des docteurs a beaucoup évolué ses 10 dernières années. L’arrêté du 7 août 2006 la décrit désormais comme une "formation par la recherche, à la recherche et à l’innovation". Le doctorat constitue une expérience professionnelle de recherche qui permet au doctorant de développer des compétences disciplinaires et transversales.

Avoir des docteurs à des postes de responsabilité au niveau de l’État et de la société est une nécessité pour rapprocher naturellement et donc efficacement la science avec le monde de la politique, le monde socio-économique et de la société civile.

Je pense profondément que le scientifique, au-delà d’un engagement qui l’amènerait à occuper des fonctions politiques, a un rôle indispensable : celui d’éclairer le débat public.

Et ce rôle est double : il s’agit à la fois d’éclairer les citoyens, afin qu’ils soient en mesure d’être pleinement acteurs de notre destin collectif, et les responsables politiques à qui revient toujours, à la fin, la responsabilité de la décision.

A titre d’exemple, l’actualité récente nous a montré à quel point nous avons besoin de la parole scientifique dans le débat public.

Je pense bien sûr aux "Fake News". Une fausse information est si facile à créer et, une fois créée, elle circule si facilement, et si vite. Une information scientifique de qualité, fondée, vérifiée, prend à la fois plus de temps à être produite, et plus de temps à être diffusée. Car la science est – et c’est très bien ! – exigeante et rigoureuse, précise et réfléchie. Elle ne s’accommode pas de petits raccourcis, ne transige pas avec la vérité. Cela pourrait sembler décourageant et l’on peut se demander comment lutter contre cette asymétrie.

Eh bien, je le crois, en mettant tout en œuvre pour rendre accessibles, au plus grand nombre, les connaissances et les avancées de la science. Cela passe par la diffusion scientifique bien sûr, mais aussi par le rôle que nous donnons à la parole scientifique dans le débat public.

Je le crois, lorsqu’on est scientifique, on est toujours, quelque part, un peu idéaliste. On considère que ce sont les idées, les vérités scientifiques, qui peuvent et doivent influencer et changer le monde. C’est une position de courage. Et nous avons, aujourd’hui, tellement besoin de ce courage.   

Mais attention car, là aussi, une dérive nous guette, un piège que peuvent nous tendre les médias, qui consiste à utiliser la parole du chercheur comme arbitre. C’est un exercice difficile et qui demande une dose d’humilité indispensable pour refuser que le scientifique serve à dire qui a gagné.

Mais pour que cela imprime dans la société et soit compris et approprié, il faut aussi développer une forme de science participative, c’est-à-dire impliquer les usagers en amont de notre recherche afin, d’une part, de mieux comprendre le problème et d’identifier les besoins puis, d’autre part, d’assurer en retour une bonne utilisation des résultats issus de ces recherches.

Je crois que cette mission des chercheurs pour et avec la société requiert une vraie reconnaissance par les institutions et une sensibilisation, voire une formation des chercheurs à la médiation et aux techniques de science participative qui peut et doit commencer avec les doctorants qui iront irriguer non seulement la recherche académique avec le lien avec et pour la société, mais aussi tout le secteur de la R&D et d’autres postes en entreprises ou dans la haute fonction publique, ou en politique !

Repousser toujours plus les frontières de la connaissance, en garantir la transmission et permettre l’émergence d’innovations, ce sont les si belles missions confiées à mon ministère. Ces trois fonctions – formation, recherche, innovation – sont un triptyque pour moi indissociable. Et c’est pourquoi l’enseignement supérieur et la recherche ne peuvent pas se penser "en dehors" ou "à côté" de la société et du débat public, mais ont toute leur place au cœur de ceux-ci et doivent être ancrés dans nos territoires.

Prenons par exemple le cas, que je connais bien, de la physique : c’est une discipline à la fois très fondamentale, puisqu’elle repose sur un socle théorique robuste, mais c’est aussi une source intarissable d’innovation : l’exemple de l’ordinateur quantique le montre particulièrement bien. Elle conduit également à des avancées notables dans le domaine de l’instrumentation ou des données : la physique a traité des big data bien avant que ce mot ne devienne à la mode ! tout comme la biologie et les sciences de la vie d’ailleurs.

Alors, je le crois profondément et c’est tout le sens de mon engagement, le monde de demain a besoin de vous. Je n’ai pas pu aborder de nombreux thèmes, comme le grand défi de la transition écologique et énergétique, mais j’espère que nous allons avoir l’occasion d’en discuter ensemble, car il est aujourd’hui votre priorité, notre priorité.

Vous m’avez invitée à une conférence sur l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche en France, permettez-moi de conclure en partageant avec vous la conception que je me fais de mon ministère :

Parce qu’il a pour mission de former les citoyens éclairés de demain, de repousser toujours plus les frontières de la connaissance, de permettre l’émergence d’innovations, il est pour moi le ministère de l’avenir. Celui d’où viendront les solutions pour demain, les réponses aux défis auxquels nous faisons face, et ceci collectivement.

Et pour insister sur cette notion du collectif je voudrais vous citer cette phrase de Saint-Exupéry: "Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas les hommes et les femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose […]. Si tu veux construire un bateau, fait naître dans le cœur de tes hommes et femmes, le désir de la mer".

Je vous remercie.

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Service presse du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR)

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