Publié le 13.10.2025

Santé mentale

Interview : Pre Marie-Rose Moro nous parle des troubles des conduites alimentaires (TCA)

Dans un épisode dédié, Kaavan, le podcast de Santé Psy Étudiant, dispositif du ministère en charge de l'Enseignement supérieur, aborde les troubles du comportement alimentaire (TCA) avec comme invitée, Professeure Marie-Rose Moro. En parallèle de cet épisode, elle nous a accordé un entretien où elle décrit les mécanismes en jeu et l'efficacité des traitements.

Crédits :
Didier Goupy

Pre Marie-Rose Moro est psychiatre de bébés, d’enfants et d’adolescents, professeure de l’Université Paris Cité, Cheffe de service de la Maison de Solenn, Maison des adolescents de l’Hôpital Cochin (AP-HP), directrice de la revue transculturelle L’autre Membre de l’Institut Universitaire de France et de l’Académie de médecine. Elle nous parle des troubles du comportement alimentaire (TCA) que sont l'anorexie et la boulimie, des troubles qui concernent les patients jeunes et tout particulièrement les jeunes filles. Ces troubles sont souvent associés à des troubles anxieux ou dépressifs et dont la complexité nécessite une prise en charge pluridisciplinaire.

10 % des patients atteints de TCA sont des garçons

Comment se manifestent les troubles du comportement alimentaire ?

Pre Marie-Rose Moro : Les troubles du comportement alimentaire sont de deux types : l'anorexie ou la boulimie.
Ces troubles concernent davantage les jeunes filles, environ 10% des patients sont des garçons.
L'anorexie est une restriction drastique des apports alimentaires qui provoque des carences. Cela implique de nombreux risques pour la santé y compris celui de mourir. Cela peut engendrer des conséquences cardiaques très graves, à cause du manque de potassium qui lui est nécessaire et, à moyen terme, l'ostéoporose, c'est-à-dire un manque de calcium qui provoque la déminéralisation du corps et la fragilisation des os. Et il y a bien d’autres conséquences sur le corps et le fonctionnement psychique de cette dénutrition drastique. Le risque majeur de l’anorexie reste le passage à l’acte suicidaire. L’anorexie mentale est en grande majorité une pathologie du sujet jeune (de l'adolescence et de la fin de l'adolescence).

La boulimie consiste en une augmentation très importante ce que l'on mange, souvent par crises. Il existe différentes formes de boulimie, en particulier, des formes très dangereuses, où la personne boulimique se fait vomir. Elle va perdre des oligo-éléments, en particulier, du potassium, et se met en danger, en s’exposant à des conséquences cardiaques elle-aussi. Par ailleurs, sur le plan psychique la boulimie est souvent associée à l’anxiété et à la dépression par exemple.

Qu’a montré la recherche ?

La recherche a mis en évidence de nombreuses formes de passage entre l'anorexie et la boulimie. Un individu peut être anorexique pendant un certain temps, en maîtrisant l'apport alimentaire, puis, devenir boulimique, avec un comportement très impulsif qui est le contraire de la restriction et où la personne va manger énormément. Par ailleurs, la recherche nous a beaucoup appris sur la sémiologie de ces troubles et sur leurs prises en charge aussi bien psychiques que somatiques.

Quelle est la meilleure prise en charge de ces troubles ?

C'est une approche pluridisciplinaire complexe qui associe psychiatres, psychologues, infirmières, nutritionnistes, éducateurs, travailleurs sociaux…
En cas d’anorexies très graves, la prise en charge des troubles doit d'abord s'occuper des conséquences somatiques et des effets négatifs sur le corps. Dans ce moment aigü, où il y a un risque de mort, il faut donc surveiller le taux de potassium, et tout le fonctionnement du corps. Il faut renutrir éventuellement les personnes, mais de manière adaptée, très progressive et en vérifiant toutes les données physiologiques.

En ce qui concerne la boulimie, lorsqu'il y a un risque métabolique, là encore, il faut faire très attention et suivre le fonctionnement des organes vitaux comme le cœur.

Une prise en charge pluridisciplinaire s’avère souvent nécessaire, c’est une prise en charge en équipe : c’est-à-dire la prise en charge du patient avec un médecin qui va gérer le risque somatique, un pédopsychiatre pour les aspects psychiatriques, mais aussi un psychologue pour la psychothérapie, des infirmières pour le suivi du projet de soin, des nutritionnistes pour aboutir à une nutrition adaptée, des travailleurs sociaux pour le projet scolaire…

L’anorexie est souvent corrélée à d'autres pathologies, comme la dépression, l’anxiété ou des troubles de la personnalité. 

Pre Marie-Rose Moro, psychiatre, professeure de l’Université Paris Cité, Cheffe de service de la Maison de Solenn, Maison des adolescents de l’Hôpital Cochin (AP-HP)

Par ailleurs, l’anorexie est souvent corrélée à d'autres pathologies, comme la dépression, l’anxiété ou des troubles de la personnalité. La psychothérapie va permettre d’évaluer comment le patient en est arrivé à ce processus anorexique ou boulimique et lui permettre d’agir sur les causes et d’en sortir. L’anorexie est un comportement, une résultante. Il arrive que des personnes extrêmement déprimées n'aient trouvé que cette manière-là pour tenter d'avoir un peu un contrôle sur leur existence. Il faut donc soigner cette dépression en suivant une thérapie, ou en second lieu, en administrant un antidépresseur pour soigner l’anorexie associée.

Le traitement chez les jeunes adultes, implique que la personne soit très active. C'est-à-dire qu'elle doit participer à la reconnaissance de ce qui lui arrive et à trouver des moyens pour en sortir en s’appuyant sur son environnement thérapeutique. Tout projet de soin dans un trouble du comportement alimentaire est un projet individualisé.

 L'anorexie, c'est aussi une maladie de l'interaction : ne plus vouloir manger, ou manger trop, d'ailleurs, c'est une pathologie du lien, du lien aux autres, à ceux qui sont autour de nous, à sa famille, à ses frères et sœurs, à ceux qui nous nourrissent. 

Pre Marie-Rose Moro, psychiatre, professeure de l’Université Paris Cité, Cheffe de service de la Maison de Solenn, Maison des adolescents de l’Hôpital Cochin (AP-HP)

A quelles thérapies a-t-on recours dans le cadre des troubles du comportement alimentaire ?

Il y a plusieurs types de thérapies. Soit des thérapies individuelles, soit des thérapies familiales. L'anorexie, c'est aussi une maladie de l'interaction : ne plus vouloir manger, ou manger trop, d'ailleurs, c'est une pathologie du lien, du lien aux autres, à ceux qui sont autour de nous, à sa famille, à ses frères et sœurs, à ceux qui nous nourrissent. À l’Hôpital Cochin, on propose la thérapie familiale quasiment systématiquement dans ces situations. Et la thérapie familiale est une des thérapies qui a fait la preuve de son efficacité dans la prise en charge de l'anorexie depuis une vingtaine d’années (cf. les recherches menées à la Tavistok Clinic en Grande Bretagne mais aussi en France). Et l’aide aux parents sous toutes ces formes est essentielle (thérapie, counseling, groupes de parole pour parents). Il faut aussi se préoccuper des frères et sœurs souvent très impactés par la maladie qui touche toute la famille. Il faut se souvenir que la famille, dans ces situations de troubles du comportement alimentaire, est une solution !

On associe la thérapie familiale à d'autres thérapies en fonction des besoins : médicaments, thérapie psychomotrice, thérapie avec des médiations par exemple des médiations artistiques, lorsque les mots sont difficiles à trouver. On passe toujours par le corps aussi. Cependant il arrive que des ados, de jeunes adultes ou des étudiants n’aient pas envie de cette approche corporelle, on cherche d'autres manières de faire pour trouver la plus adaptée. On met construit un projet de soins avec la personne et aussi avec sa famille, même si la personne est majeure (et avec son accord), parce que, bien souvent, on a besoin de la famille. On discute les modalités ensemble.

Quelles sont les difficultés dans la prise en charge ?

Certains patients tardent énormément à se soigner parce qu'ils ne l'identifient pas comme un trouble, comme une maladie. Or, c’est une souffrance. C’est un dysfonctionnement. Ils dénient la gravité de ce qui leur arrive et leur entourage aussi partage parfois ce déni.

Où en sont les connaissances au sujet des TCA ?

On parle d’anorexies au pluriel, parce il y a des formes de plus en plus complexes, par exemple les anorexies pré-pubères, qui apparaissent autour de 9-10 ans, avant la puberté – l’anorexie des garçons assez différente de celle des filles – ou encore les troubles d'alimentation sélective et/ou d'évitement (qu’on appelle ARFID pour avoidant/restrictive food intake disorder) qui est un trouble de l'alimentation caractérisé par le fait qu'un enfant ou un adolescent ne s'alimente pas suffisamment pour satisfaire ses besoins. De nombreuses hypothèses ont été faites : l'hypothèse génétique, l'hypothèse psychologique, neuro-biologique, sociale… Il existe aussi une hypothèse du microbiote. Certaines équipes de chercheurs interroge le lien entre le microbiote intestinal et le cerveau. Tous ces éléments-là ne sont que des hypothèses. On ne peut pas trouver une cause unique, il s’agit manifestement de plusieurs fragilités qui vont aboutir à la mise en place d’un comportement anorexique ou boulimique.

Est-ce que l’état actuel des connaissances sur ces troubles permet de mieux les soigner ?

Oui, bien sûr. On a beaucoup étudié les différentes thérapies, les indications, la manière de renutrir, les effets somatiques et psychiques et les médicaments aussi. Il y a eu beaucoup d'études sur l'utilisation des antidépresseurs ou des neuroleptiques chez les anorexiques car les sujets réagissent très différemment aux médicaments. Beaucoup d'études et de progrès ont été faits concernant les traitements (psychothérapiques, médicamenteux, nutritionnels ou même institutionnels), mais on peut encore mourir des effets d'une anorexie, il faut le savoir. Et la première cause de mort, c'est le suicide. Et la deuxième cause est liée aux conséquences somatiques en particulier les dangers d’une renutrition inadaptée à leur métabolisme.

Pour en savoir plus : Marie Rose Moro, Bye Bye l’angoisse. Vivre en bonne santé mentale. Casterman, 2025.