Cette 14e édition, portée par l'Institut de l'Histoire de l'art (INHA) et le Château de Fontainebleau, accueille l'Autriche sous le signe du vrai et du faux. Nous avons interrogé Veerle Thielemans et Sophie Goetzmann, de l'équipe scientifique de l'INHA à propos du montage de la programmation.
Faire résonner histoire de l'art et temps présent
Né de la volonté de faire connaître ce champ des sciences humaines au plus grand nombre, le Festival de l'histoire de l'art convie la communauté scientifique et le grand public au château de Fontainebleau (Seine-et-Marne).
Depuis 2011, chaque édition accueille la rencontre entre un pays invité, en l'occurrence cette année l'Autriche, et une programmation thématisée dans ce château de la Renaissance. Le festival ne compte pas moins de 250 événements gratuits (à l’exception des projections de films) : conférences, tables rondes, expositions, salon du livre et de la revue d’art, visites, ateliers pour enfants et concerts viennent mettre en perspective notre lien à la culture et à l'art. De même que les échanges professionnels, rencontres internationales étudiantes, concours de pitch "Ma thèse en histoire de l'art en 180 secondes" favorisent le partage des connaissances et interrogent avancées technologiques, nouvelles méthodes de recherche, mais aussi les programmes universitaires, rapport aux publics ou à l’éducation culturelle et artistique.
Après le sport, le climat ou encore l'animal, cette édition questionne le vrai et le faux, une thématique dont sont friands historiens de l'art et scientifiques, bien qu'elle évoque des réalités différentes tant pour un conservateur que pour un physicien. Cette 14e édition abordera donc, entre autres, l'authenticité des œuvres en tant qu'artefacts, tout comme les créations de faussaires ou celles générées par une intelligence artificielle.
Interview de Veerle Thielemans et Sophie Goetzmann, membres de l'équipe scientifique du festival
Veerle Thielemans, directrice scientifique
Veerle Thielemans est docteure en histoire de l'art spécialiste de la peinture française du XIXe siècle. Diplômée de l'Université Catholique de Louvain (Belgique) et ancienne élève de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris), elle a soutenu sa thèse de doctorat à l'Université Johns Hopkins (Baltimore, États-Unis). Après vingt ans passés à la Terra Foundation for American Art dont elle fut directrice des Programmes Académiques, elle a pris la tête de l'équipe dédiée au festival au sein de l'Institut national d'histoire de l'art en décembre 2018.
Sophie Goetzmann, chargée de programmation
Sophie Goetzmann est docteure en histoire de l’art de l’Université Paris-Sorbonne, spécialiste des avant-gardes allemandes. Autrice d’une thèse portant sur la réception de Robert Delaunay au sein de l’expressionnisme berlinois, elle a notamment travaillé en tant que chargée de recherche au Musée National d’Art Moderne ainsi qu’au Centre Allemand d’Histoire de l’Art. Elle a rejoint l’équipe du Festival en tant que chargée de programmation scientifique en octobre 2024.
Comment le festival a-t-il évolué depuis la création en 2011 ?
Veerle Thielemans : Je dirais qu'aujourd'hui, plus qu'au début, nous sommes très attentifs à ce que les sujets des conférences et débats ouvrent des questions qui ont une grande portée historique aussi bien qu'une forte acuité contemporaine. La ligne d’orienter la programmation scientifique du festival vers des enjeux sociétaux est devenue très prononcée ces six dernières années, sous le mandat d’Éric de Chassey comme directeur général de l’INHA et de la présidence de Laurence Bertrand Dorléac, sans toutefois instaurer un parti pris militant. D’autre part, le festival veut mettre en avant l'histoire de l'art comme une discipline connectée et globale qui s’intéresse à l’héritage culturel de peuples et des communautés partout dans le monde. Cette perspective était fondamentale pour les éditions dédiées au Japon et au Mexique, par exemple, mais pas uniquement. Aborder des thèmes comme 'le peuple', 'l'animal' et 'le climat' nous a nécessairement conduit à élargir les horizons géographiques et à interroger des modèles de pensée, tels que les études post-coloniales. En général, le festival ambitionne une plus grande ouverture internationale. Au lieu de limiter les invitations à des intervenants francophones, la parole est donnée à une délégation importante de chercheurs, professionnels et créateurs du pays invité qui s’adressent au public dans leur propre langue avec traduction simultanée fournie. Les Rencontres Internationales Etudiantes ont pris le format d’un véritable programme d’échanges en collaboration avec des collègues d’universités du pays invité. Au-delà de la présence multipliée de nos collègues internationaux, je suis également heureuse aussi que le festival se soit 'rajeuni'. Des masterants et doctorants participent activement aux conférences, ateliers et tables rondes et grâce à la collaboration étroite avec l'École du Louvre, le Château de Fontainebleau a pu mettre en place un programme de visites guidées personnalisées. Des bourses de mobilités aident des étudiants inscrits en licence dans des universités ou Écoles d’art hors Ile de France à faire le voyage à Fontainebleau. Enfin, la participation grandissante d'enseignants en éducation artistique et culturelle à travers l'organisation de l’Université de Printemps en histoire des arts est un autre signe du rôle grandissant que notre manifestation joue dans l'enseignement de l'histoire de l'art en France.
Nous sommes très attentifs à ce que [la programmation] ouvre des questions qui ont une grande portée historique aussi bien qu'une forte acuité contemporaine.
Parlez-nous de la thématique, Le vrai le faux, qui questionne l’histoire de l’art comme le monde scientifique. Que nous réserve cette 14e édition ?
Sophie Goetzmann : Le thème du Vrai/Faux a suscité un vif engouement, ce dont témoignent les 140 propositions reçues par le biais de l’appel à candidatures. Nous nous réjouissons tout particulièrement de la forte mobilisation des musées : près de 25 professionnels (conservateurs, attachés de conservation, chargés de recherche ou commissaires d’exposition) prendront part aux échanges cette année. Leur participation témoigne de l’écho rencontré par le thème choisi pour cette édition dans les institutions patrimoniales. Il faut dire que le sujet résonne avec l’actualité de l’histoire de l’art : nous en avons un exemple très récent avec le procès des deux faussaires de chaises XVIIIe, vendues au château de Versailles et à de riches collectionneurs qataris. La couverture médiatique de cette affaire a mis en lumière la persistance du mythe du faussaire génial, défiant les institutions. L’histoire de l’art pratiquée de manière rigoureuse contribue à déconstruire ce type de récits.
De nombreuses interventions porteront donc sur le faux dans le sens de contrefaçon. Plusieurs conférences et tables rondes reviendront sur des figures historiques de faussaires, montrant qu’il s’agit rarement d’individus marginaux, mais le plus souvent de personnes bien insérées dans le milieu de l’art : experts, marchands, restaurateurs – parfois même artistes. Seront aussi interrogées les conséquences de ces faux dans les collections muséales. Federica Mancini (Louvre) ou Catherine Chevillot (Ministère de la Culture) évoqueront ainsi la présence de faux dans les fonds de musées, en les replaçant dans une histoire du goût et de l’acquisition. Éric Turquin reviendra pour sa part sur les erreurs d’expertise et leurs répercussions économiques et historiographiques. La notion d’authenticité sera également examinée sous l’angle de la copie. Une table ronde menée par Yaëlle Biro explorera les reproductions d’œuvres exposées dans les musées africains, en remplacement d’originaux conservés en Europe, et leur forte portée symbolique. D’autres communications aborderont les enjeux de la restauration, à l’image de la table ronde consacrée aux châteaux de la Renaissance (Fontainebleau, Blois) qui analysera la tension entre fidélité historique et interventions successives. Enfin, certaines interventions examineront les erreurs ou approximations dans le récit historique – comme dans une discussion consacrée à l’histoire de l’art arabe – ou les enjeux de la véracité à l’ère numérique, avec, par exemple, une présentation de l’exposition Le Monde selon l’IA (Jeu de Paume), qui questionne la nature même des images générées par l’intelligence artificielle.
L’histoire de l’art pratiquée de manière rigoureuse contribue à déconstruire le mythe du faussaire génial.
Comment maintenez-vous un équilibre entre rigueur scientifique et accessibilité pour le grand public ?
Veerle Thielemans : Trouver le bon équilibre entre des sujets d'actualité portés par des spécialistes et les attentes du grand public, constitue effectivement le plus grand défi du festival. Il faut jongler entre une programmation de haut niveau scientifique qui demeure intéressante et attirante pour celles et ceux qui n'ont pas les connaissances préétablies, et ceci sans perdre l’expérience de découverte et l’ambiance festive d’un festival. Parmi toutes sortes de stratégies que nous avons essayé de mettre en place pour trouver le juste rapport entre tables rondes, conférences et activités pour famille, animation, concerts, expositions, la clé de la réussite est la création de « passerelles » entre la programmation scientifique et la programmation culturelle (ateliers, expositions, visites, etc.) L’édition japonaise de 2021 était un bel exemple de réussite avec la combinaison de conférences autour de l’histoire de l’art japonais, le montage d'une exposition de recherche sur les objets japonais dans les collections du Château, l'installation d'un pavillon de thé de Kengo Kuma dans la Chapelle, la présentation d'une collection de bonzaï illustrant l'histoire du collectionnisme de ces arbres nains en France, la projection de films magnifiques. Il y avait beaucoup de choses à écouter et à voir avec des thématiques partagées.
Informations pratiques
Château de Fontainebleau
77300 Fontainebleau
Du 6 au 8 juin 2025