Publié le 14.05.2019

La création des "Open Universities" : un bref retour historique

Les premières "Open Universities" ont vu le jour il y a 50 ans. Depuis, elles se sont implantées dans de nombreux pays à travers le monde. Universités nationales et majoritairement publiques, elles se font le reflet de projets politiques visant la justice sociale et le développement national.

Paroles d’Acteurs du Sup

L'Université d'Afrique du Sud (UNISA), la précurseuse

L'Université d'Afrique du Sud est souvent considérée comme la première "open university" au sens d'université à distance, massive, accessible à tous et porteuse d'une vision sociale. Fondée en 1873, elle devient en 1946 la première université publique au monde à enseigner uniquement à distance. L'un de ses objectifs est alors de réduire la domination britannique, en permettant un accès plus équitable à l'enseignement supérieur. Malgré une proportion infime d'inscriptions d'étudiants dits "de couleur", l'UNISA a cependant représenté une opportunité pour les Sud-Africains noirs, parmi lesquels des activistes anti-apartheid et membres de l'ANC dont Nelson Mandela.

Conçue à l'origine comme un simple centre d‘examen, l'UNISA a dû faire face à l'opposition des autres universités traditionnelles. Ce n'est qu'en 1964 que l'UNISA s'affranchit du simple statut de centre d'examen pour enseigner à ses propres étudiants. Elle lutte alors pour préserver l'accès à toutes les populations sud-africaines, malgré les pressions portant notamment sur les langues d'enseignement. Malgré sa résistance, le positionnement de l'UNISA est fortement critiqué dans les années 1990. On reproche ainsi le manque de soutien apporté aux étudiants, provoquant leur échec. Ce changement d'image révèle à quel point les universités ouvertes sont soumises aux changements sociaux, comme ce fut le cas avec l'Université Ouverte britannique. Cette université, première qualifiée d' "ouverte" et tête de proue du modèle à travers le monde, est née d'un projet politique en phase avec les mouvements sociaux de la fin des années 1960.

L'Open University britannique

Un projet travailliste

Née à la fin des années 1960, l'Université Ouverte de Grande-Bretagne fut fondée sur l'idée que les Technologies de l'Information et de la Communication pouvaient apporter une éducation de qualité à une population qui n'y avait jusque-là pas accès. Le projet naît ainsi d'une conviction politique : celle de permettre la démocratisation de l'éducation tout en développant la formation des travailleurs. Cette conviction, portée par le premier ministre travailliste Harold Wilson, est alors influencée par l'enseignement supérieur à distance soviétique. Les réformes éducatives mises en place par Nikita Khrouchtchev à la fin des années 1950 visaient à professionnaliser davantage l'éducation, en renforçant les liens entre l'école et le milieu professionnel. L'objectif était d'élever la qualification à un niveau universitaire de la classe ouvrière, en particulier pour les travailleurs du parti communiste assurant d'importantes responsabilités. Impressionné par ce modèle, Harold Wilson, chef du parti travailliste d'opposition, évoque en 1963 pour la première fois une "université des ondes", qui permettrait, grâce à la télévision, la délivrance d'un programme national d'enseignement à distance.

Un modèle d'innovation pédagogique

Malgré un certain nombre de résistances dues au manque de légitimité de l'éducation pour adultes, les travaillistes arrivés au pouvoir défendent l'idée d'un enseignement supérieur de qualité à destination de ce public. Le gouvernement collabore ainsi avec la BBC pour démontrer que le projet est financièrement viable. L'Université Ouverte vise également à délivrer des diplômes selon les normes académiques des universités traditionnelles. Elle ne sera pas seulement une seconde chance pour une population marginalisée. L'Université Ouverte de Grande-Bretagne est lancée et s'affirme rapidement comme leader en termes d'innovations pédagogiques pour les cours de sciences et de technologies, incluant même un microscope :

  • émissions de télévision ;
  • émissions de radio dédiées et diffusées aux heures creuses à la BBC ;
  • utilisation de supports enregistrés (cassettes et envois à domicile de kits expérimentaux).

Dans la décennie qui suit sa création, les conservateurs arrivés au pouvoir continuent de soutenir l'Université Ouverte. Margaret Thatcher y voyait effectivement une chance pour galvaniser le système traditionnel de l'enseignement supérieur, en particulier dans la perspective d'améliorer la rentabilité de ces institutions. De nos jours, pourtant, l'Open University (OU) subit une perte d'effectif importante, mettant en péril son modèle. La raison est essentiellement due à la politique d'augmentation des frais de scolarité voulue par le gouvernement conservateur-libéral, affectant l'ensemble de l'enseignement supérieur britannique. Fragilisée, l'Université Ouverte de Grande-Bretagne se lance dans les MOOC, à travers sa plateforme FutureLearn, pour tenter de préserver son leadership en termes de démocratisation des savoirs et d'innovations pédagogiques.

Les universités ouvertes, des universités soumises aux changements

Les exemples de l'UNISA ou de l'OU montrent ainsi que les universités ouvertes, par la démocratisation qu'elles visent et les innovations qu'elles proposent, sont intimement liées aux projets socio-politiques qui les fondent :

  • projet travailliste en Grande-Bretagne ;
  • projet indépendantiste en Catalogne ;
  • projet communiste en Chine.

Les universités ouvertes visent toujours à favoriser la justice sociale tout en provoquant un changement visant à soutenir le développement national et économique.

Auteur(s)

Émilie Remond
  • Chercheuse associée au Laboratoire Techné
Université de Poitiers

15 rue de l’Hôtel Dieu

TSA 71117

86073 Poitiers CEDEX 9