SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI
Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,
Merci à toutes et à tous d’être ici ce matin, entre les congés de Pâques et les ponts de mai.
La journée qui commence est une occasion précieuse de nous réunir pour réfléchir, ensemble, à l’avenir de notre système d’enseignement supérieur et de recherche.
Un avenir bousculé à la fois par des évolutions internationales sans précédent, et par des contraintes, avant tout budgétaires, tout aussi inédites.
Notre enjeu est donc aussi simple à énoncer, que complexe dans la mise en œuvre des réponses à y apporter.
Il nous faut tirer le bilan de ce qui a été réalisé depuis la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche, nous appuyer sur ce qui a fonctionné, et bâtir là-dessus, dans un contexte extrêmement exigeant et extrêmement contraint.
Ce contexte, quel est-il ?
D’une part, celui d’une fragilisation inquiétante de la recherche au niveau mondial.
L’offensive résolue menée par l’administration américaine contre les fleurons de son système nous ont d’abord laissés sans voix.
Mais on ne peut rester muet devant le saccage qui est en cours.
Le directeur de la NSF, la National Science Foundation, a démissionné la semaine dernière en prenant acte de la situation et de son incapacité à en faire davantage.
Les anciens dirigeants de la NOAA, il y a quelques semaines, disaient que les restrictions budgétaires et l’arrêt de programmes de recherche, sans compter les licenciements massifs et la mise en cause du travail sur le changement climatique, auraient des conséquences dramatiques, y compris en termes de morts inutiles.
Les Etats-Unis ne sont malheureusement pas le seul pays où la recherche soit de plus en plus menacée et empêchée.
Cette attaque contre la science au niveau mondial nous oblige, à plus d’un titre.
Nous devons, en France et en Europe, être capables de réaffirmer notre attachement aux valeurs de la science et de la recherche libre, fondée sur le débat, l’échange libre des idées, la confrontation fructueuse des théories et des approches.
Nous devons aussi être à la hauteur des enjeux scientifiques de notre temps, du réchauffement climatique au bouleversement des systèmes démocratiques, de l’exploration de l’espace à la compréhension de la santé de tous et de toutes.
Les mouvements politiques de remise en cause de la science ont souvent correspondu dans notre histoire à des bascules significatives dans les équilibres de la connaissance.
Les années 30 du vingtième siècle, ou l’après-seconde guerre mondiale ne manquent pas d’exemples en la matière.
Que ce soit dans la conception de lanceurs spatiaux ou dans l’élaboration de doctrines géopolitiques à l’influence durable, que ce soit dans l’invention de technologies nucléaires civiles et militaires ou dans le développement de procédés chimiques, les mouvements de scientifiques ont redessiné les lignes de la souveraineté, de la puissance politique et économique.
Nous avons tout à gagner à ouvrir grand les portes de la recherche européenne à ceux qui, malgré leur excellence scientifique, n’ont plus le droit ou la possibilité d’exercer leur métier de chercheur.
Je suis donc soulagé, fier, heureux que le président de la République ait annoncé la réunion d’un événement le 5 mai prochain, à Paris, pour que l’Europe relève collectivement le défi que cette situation internationale nous lance.
Cet événement s’inscrit dans la prolongation des efforts que nous menons au sein du ministère depuis plusieurs mois, dès qu’ont été connues les décisions de l’administration américaine dans le champ scientifique.
En mars, j’ai proposé à mes homologues européens de réfléchir à une réponse commune à cette situation.
Je les rassemblerai le 5 mai après-midi pour que nous puissions rendre cette réponse plus concrète et efficace.
Je vous invite à participer autant que possible à ce mouvement en faveur de l’excellence de la science et de la défense des valeurs de l’université et de la recherche libre !
Voici, en quelques mots, pour le contexte international.
Mais notre contexte c’est, d’autre part, l’état inquiétant de nos finances publiques.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres :
les déficits publics de notre pays se sont élevés, en 2023 et 2024, à 5,4% et 5,8% du PIB.
La dette publique culmine à près de 3 300 milliards d’euros et les intérêts de la dette s’élèvent désormais à 62 milliards d’euros soit un montant équivalent au budget du ministère des Armées, au budget de l’Education nationale (hors pensions) ou plus de deux fois celui de notre ministère.
Nous jonglons désormais avec les milliards, avec un vertige qui semblait réservé aux astronomes perdus dans le compte des étoiles.
Ce n’est pas abstrait.
Cette dégradation budgétaire, qu’il peut sembler vulgaire d’évoquer à certains membres de notre écosystème, a des conséquences concrètes et directes sur notre capacité d’action.
Au début de l’année, je me suis battu pied à pied, avec le soutien d’Elisabeth Borne, pour préserver le budget de notre ministère.
Et nous y sommes parvenus.
Mais cette contrainte doit rester sous nos yeux au moment de scruter notre horizon.
La semaine dernière, le Premier ministre a annoncé que pour tenir l’objectif de redressement des finances publiques, un effort supplémentaire de 5 milliards d’euros serait nécessaire.
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche contribue lui aussi à cet effort de régulation.
Je vais être un peu technique pour que nous ayons le même niveau d’information à ce sujet.
Les annulations de crédit auxquelles nous devons faire face s’élèvent à 257 millions d’euros, et portent intégralement sur les réserves de précaution des programmes pour l’enseignement supérieur et pour la recherche.
Ce n’est donc pas de l’argent déjà engagé pour des actions, ce n’est pas une interruption en cours de route de programmes d’enseignement ou de recherche.
Il s’agit, concrètement, d’une diminution des réserves faites par le ministère pour faire face aux imprévus, comme c’est le cas dans l’ensemble des ministères
Ces annulations de crédit n’ont pas de conséquence sur les crédits octroyés en loi de finances initiale pour financer les mesures RH de la LPR.
Ces crédits ciblés sur les mesures RH qui s’élevaient à près de 100 millions d’euros pour le programme 150, qui concerne l’enseignement supérieur, et à 67 millions d’euros pour le programme 172, qui concerne la recherche.
Les annulations de crédits ne touchent pas non plus la compensation de la hausse du CAS pensions pour les universités, une mesure qui s’élève à 200 millions d’euros, que nous avons réussi à obtenir dans la loi de finances pour 2025, malgré le contexte, au terme de négociations difficiles.
Si on regarde l’ensemble des crédits de la mission interministérielle Recherche et Enseignement supérieur, la MIRES, qui concerne notre ministère mais aussi des programmes de recherche qui n’en relèvent pas, cette mission contribue au nouvel effort budgétaire à hauteur de 387 millions d’euros.
Je le répète, ces contributions seront intégralement supportées par les réserves de précaution.
Les annulations de crédit de la MIRES hors périmètre du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche correspondent à l’annulation de réserves des autres programmes, notamment celui de la Recherche spatiale, qui contribue à hauteur de 94 millions d’euros.
Par ailleurs, le programme 231, qui concerne la vie étudiante, n’est pas concerné par ces annulations.
J’aimerais revenir sur ce qui nous réunit aujourd’hui, la LPR.
Vous entendrez juste après moi un bilan plus détaillé de la mise en œuvre de cette loi, mais comme vous le savez, la répétition est le meilleur moyen de se faire entendre !
Vous vous le rappelez, la loi de programmation de la recherche a été votée fin 2020, dans un contexte très différent de celui que je viens d’évoquer.
La LPR avait pour objectif de donner davantage de visibilité à la trajectoire budgétaire de l’enseignement supérieur et de la recherche, d’améliorer l’attractivité des carrières et le quotidien des chercheurs, enseignants-chercheurs et enseignants, ainsi que des personnels non enseignants de notre ministère.
Elle devait aussi permettre de développer le transfert technologique.
Sur tous ces plans, la LPR a joué un rôle d’accélérateur considérable.
Je le rappelle : sur la période 2021-2025, elle a permis d’injecter près de 6 milliards d’euros supplémentaires dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Cela a eu des effets très concrets, sur la rémunération et le parcours des personnels de notre écosystème.
La LPR a renforcé l’attractivité, notamment grâce au dispositif des chaires de professeur junior, les CPJ.
Nous avons eu de belles réussites en termes d’innovation.
Néanmoins, nous n’avons pas encore atteint tous nos objectifs.
L’attractivité des carrières dans la recherche n’est pas encore à la hauteur.
Nous avons du mal à remplir les postes ouverts, en particulier dans certaines disciplines.
Les jeunes chercheurs en France n’ont pas de conditions d’entrée dans la carrière comparable à celles de nombre de nos partenaires européens.
Par ailleurs, le niveau global d’investissement dans la recherche et l’innovation, publiques et surtout privées, est bien plus faible que celui de nos partenaires européens ou dans l’OCDE.
Vous savez que nous avons un objectif de dépenses en R&D de 3% du PIB, nous atteignons péniblement 2,2% et même moins, si l’on en croit les derniers chiffres de l’OCDE.
Pendant ce temps-là, l’Allemagne ou Israël dépassent les 3%, et la Chine accroît son investissement dans la recherche et l’innovation à un rythme inédit, au point de distancer largement l’Union européenne voire de rattraper les Etats-Unis.
Vous imaginez bien que, dans le monde bousculé qui est le nôtre, ça n’est pas possible.
Evidemment la France ne peut pas porter tout le poids du rééquilibrage de l’investissement en R&D de l’Union, mais nous avons un rôle à jouer si nous voulons garder une parole crédible.
Et nous n’y sommes pas encore.
Donc, la LPR a porté ses fruits, mais tout n’est pas terminé.
C’est tout à fait normal, car les transformations que nous avons engagées mettent du temps à montrer tous leurs effets, et quatre ou cinq ans ne sont pas une durée si considérable à l’échelle de notre ministère. Et d’ailleurs nous ne sommes qu’à la moitié du chemin qui était prévu par la loi de programmation.
Cependant, un point d’étape était nécessaire.
C’est pourquoi dès mon arrivée au ministère, j’ai identifié l’activation de la clause de revoyure parmi mes priorités.
Elle était prévue par la loi, et avait été demandée à nouveau par le président de la République lors de son discours de décembre 2023 sur l’université.
Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a, à son tour, rappelé l’importance de la trajectoire d’investissement dans la recherche.
Cinq ans après sa mise en œuvre, les transformations du monde auxquelles nous assistons nous obligent aussi à nous reposer la question : comment pouvons-nous répondre aux défis qui nous font face ?
Sommes-nous en mesure de remplir nos missions ?
Où voulons-nous aller, et par quels chemins ?
Par ailleurs, comme je le disais, tous les objectifs initiaux n’ont pas été atteints.
Il me paraît de toute façon normal et nécessaire, lorsque des moyens aussi importants sont mis en jeu, lorsqu’on parle de la recherche et de l’enseignement supérieur qui sont le terreau de notre avenir, il me paraît indispensable de nous livrer à un tel exercice de bilan et d’analyse partagée.
Il y a six semaines, j’ai donc lancé ce processus.
Beaucoup d’entre vous m’avez entendu à cette occasion.
Le travail de revoyure a été décliné à travers trois chantiers principaux.
Tout d’abord l’attractivité RH.
Ensuite, les modes de financement de la recherche.
Enfin, la recherche partenariale entre public et privé.
J’avais demandé à chacun de s’emparer de ces questions pour identifier les leviers d’amélioration dans ces différents domaines.
Depuis, nous avons reçu de nombreuses remontées.
Je voudrais remercier toutes celles et ceux d’entre vous qui y ont contribué.
Au cours des dernières semaines, j’ai également souhaité rencontrer les organisations syndicales représentatives, ainsi que France Universités, les EPIC et ONR, afin de faire des points d’étape et de partager directement avec eux leur vision des choses.
Ces rendez-vous ont été instructifs et constructifs, ils sont aussi venus alimenter la réflexion que nous pourrons prolonger aujourd’hui.
Cette journée est avant tout un temps pour que chacun, chacune d’entre vous puisse s’exprimer de manière libre.
Ne vous inquiétez pas, je ne serai pas derrière chaque table ronde !
Mais je serai attentif à ce qui sortira de vos échanges.
C’est un temps d’écoute mutuelle, dans un format qui me semble propice à faire émerger des pistes communes pour aller ensemble de l’avant.
Ensuite, notre enjeu partagé sera de porter ensemble les priorités identifiées.
L’étape du jour est importante, mais ce n’est qu’une étape.
Elle n’aura du sens, elle n’aura des suites, que si tous et toutes, nous nous emparons des résultats de la revoyure pour les mettre en œuvre.
Merci à la DGRI qui a organisé cette journée, merci encore à vous tous qui y participez.
Je vous souhaite une journée d’échange belle et fructueuse !
Et je vous donne rendez-vous cet après-midi pour la restitution de vos travaux.