L’exposition L’Olympisme retrace l’invention des Jeux olympiques modernes, à travers les relations entre Athènes et Paris, entre l’École française d’Athènes et le Louvre, mais également à travers une galerie de portraits. Au-delà de la figure de Pierre de Coubertin, l'exposition révèle des figures d'historiens ou d'artistes méconnus à l’instar de Michel Bréal (1832-1915), qui a participé à la réinvention des concours de la Grèce antique à partir de l’étude des textes antiques, ou du Suisse Émile Gilliéron (1850-1924), l’artiste officiel des Jeux Olympiques de 1896, installé en Grèce en 1876.
En 1896, les premiers JO seront ainsi organisés à Athènes, puis à Paris, en 1900 dans le cadre de l'Exposition universelle ainsi qu’en 1924.
L’École française d’Athènes, partenaire du Louvre dans le montage de cette exposition, s’est appuyée sur l'étude du fonds d'atelier de l’artiste suisse que lui a récemment légué la famille Gilliéron.
L'École française d'Athènes
Fondée en 1846, l'École française d'Athènes est le premier institut étranger établi en Grèce. En tant que centre de recherche en sciences humaines, sa mission est d’étudier l'hellénisme et les espaces géographiques où il s'est diffusé, des origines à nos jours. Lieu d'échanges entre les chercheurs spécialistes de ces questions, l'EFA a également pour mission la formation de jeunes chercheurs en leur offrant l'accès au terrain (7 maisons de fouilles) et aux sources (bibliothèque de recherche, fonds d’archives...) et en favorisant leur insertion dans un milieu professionnel international de haut niveau.
L'exposition présente pour la première fois les antiquités qui ont inspiré Émile Gilliéron en les confrontant aux œuvres produites dans le cadre des JO modernes : timbres, affiches, cartes postales, trophées, objets commémoratifs. On y découvre autant des images des infrastructures ayant accueilli les derniers Jeux à Paris il y a un siècle, des coupes antiques qui donneront naissance aux trophées sportifs, que de rares images filmées d'Isadora Duncan dansant à Athènes. Enfin, les œuvres antiques rencontrent leurs réinterprétations modernes qui ont renoué avec l'héroïsme antique.
Le timbre : un média de masse ?
Impliqué dans la création des images olympiques, Émile Gilliéron conçoit timbres, trophées et autres visuels inspirés de l'archéologie et de l'histoire de l’art grec. Les timbres sont utilisés pour la communication officielle et le financement des Jeux Olympiques dès 1896.
Ici, le timbre réalisé par Émile Gilliéron, à l'occasion de la 2e édition commémorative pour la Mésolympiade de 1906, représente des athlètes courant d'après l'amphore panathénaïque attribuée au peintre de Berlin, de la collection Callimanopoulos.
Cet objet du quotidien, devenu obsolète, est avant tout à l'époque, un média de masse, utilisé pour populariser les découvertes, en l'occurrence les œuvres et sculptures antiques.
Interview des commissaires d'exposition
Rencontre avec Christina Mitsopoulou, archéologue à l'université de Thessalie, École française d'Athènes, et Alexandre Farnoux, ancien directeur de l'École française d’Athènes et professeur d'archéologie et d'histoire de l'art grec à Sorbonne Université.
Quel est le lien entre les fouilles réalisées en Grèce, l'Olympisme et l'École française d'Athènes ?
Christina Mitsopoulou : L'époque où murit l'idée des Jeux olympiques modernes, dans les années 1880 et 1890, correspond à une période où les institutions étrangères commencent à fouiller de grands sanctuaires grecs. Par exemple, les Français fouillent le site de Delphes, les Allemands le site d'Olympie, les Allemands et les Grecs le site de l'Acropole, les Grecs, avec Émile Gilliéron, le site de Marathon. C'est à cette période qu'on découvre de grands sites liés au sport antique, comme les Jeux panathénaïques à Athènes et les Jeux olympiques à Olympie.
L'École française d'Athènes, institution créée à Athènes dès 1848, a très vite voué des recherches à l'histoire du sport, l'histoire du gymnase, etc. Mais surtout, le grand archéologue français Léon Heuzet, professeur à l'école de Beaux-Arts, conservateur au musée du Louvre, a fait des recherches en Grèce à l'École d'Athènes dans les années 1860. C'est lui qui a envoyé l'artiste Émile Gilliéron en Grèce pour faire des relevés des différents sites. Et c'est grâce à Léon Heuzet que Gilliéron s'est retrouvé en Grèce. Il est accueilli tout d'abord par l'École française d'Athènes. Ensuite, suivront de nombreux archéologues de l'École française d'Athènes, comme Edmond Potier, qui à son retour a été conservateur au Louvre. Et par exemple, le directeur de l'école française d'Athènes, Théophile Homolle, qui était le directeur de l'école à l'époque des Jeux Olympiques à Athènes, est devenu, par la suite, directeur des musées nationaux et du Louvre. Il y a un flux entre les chercheurs qui sont formés à Athènes ou qui font un travail de terrain en Grèce, et qui, à leur retour en France, prennent des postes de recherche, soit dans les universités, soit au Louvre ou dans d'autres institutions, et qui tous ensemble ont créé cet échafaudage scientifique, cette matière, les livres, les publications, le savoir, qui a nourri à son tour les arguments et les images pour l'Olympisme moderne.
De même, Michel Bréal, qui n'est jamais allé en Grèce, était un spécialiste de la mythologie antique, philologue, linguiste, le créateur de la sémantique et il est justement l'inventeur de la course du marathon, qu'il a créée en lisant les sources antiques, Posanias, et en suivant le développement des fouilles en Grèce. Et comme ça, il a eu l'idée géniale de créer une discipline d'endurance qui fascine le public depuis 130 ans !
Nous trouvons que c'est un très bon argument, pour répondre à ces problèmes de la crise des études classiques aujourd'hui, qui sont un peu tombées en désuétude à cause du développement de la technologie, mais il ne faut pas oublier que ce sont des esprits de recherche humaniste qui ont créé cet énorme élan athlétique !
Parlez-nous de cet objet présenté dans l'exposition, la coupe Bréal, qui revient en France pour la première fois depuis sa création.
Alexandre Farnoux : [La coupe Bréal] a été créée à Paris sur une idée de Michel Bréal dont vous a parlé Christina Mitsopoulou. C'est le premier des trophées, la matrice de tous les trophées sportifs qui seront faits par la suite. Il a été fabriqué ici en France, il a été envoyé à Athènes, au directeur de l'École française d'Athènes, qui était Théophile Homolle à l'époque, qui le reçoit précieusement dans son bureau et qui va le transmettre ensuite au Comité olympique en 1896.
C'est une histoire qui concerne beaucoup l'École française d'Athènes, qui a joué un rôle très important dans la naissance de l'Olympisme.
En tout cas, la coupe Bréal est importante puisqu'elle est liée à l'invention de la course de Marathon. Elle est liée à l’imaginaire autour de cette course - qui n'a jamais existé en réalité - , mais qui est un très bon exemple des aspects de l'antiquité qu'on a choisi de réélaborer dans un discours qui nous convenait mais qui n'avait aucun rapport avec l'antiquité, et qui est finalement la matrice même de l'Olympisme contemporain.
La coupe représente, dans un style Art nouveau, la végétation de la plaine de Marathon, qui est une plaine marécageuse. Le marécage joue un rôle considérable puisque c'est lui qui a fait que l'armée perse s'est embourbée et n'a pas pu se déployer contre les armées de fantassins athéniens, qui leur faisaient face. Et c'est grâce à cela que les Athéniens ont pu remporter cette éclatante victoire : victoire d'une démocratie, victoire de citoyens contre une monarchie et de sujets contre des mercenaires. C'est donc une victoire éminemment symbolique que Michel Bréal a eu l'idée d'associer à l'Olympisme.
Dans l'idée de Pierre de Coubertin, cette pratique sportive amateure internationale, devait s'adosser à un modèle politique positif qui avait vocation à se diffuser à travers le monde, qui était la démocratie. Choisir Marathon et l'allier à Olympie, alors que ça n'a aucun rapport dans la réalité grecque, c'est une espèce de monstre évidemment pour nous, spécialistes. Mais, idéologiquement, c'est très bien joué parce que cela place ces grands jeux internationaux : cela justifie de les faire à Athènes, cela associe le modèle athénien à la compétition de haut niveau et donc cela associe la démocratie à ces prouesses sportives qui sont le fond de la démocratie. C'est un philologue, spécialiste de linguistique, qui a cette idée alors qu'il n'a jamais fait de sport, qui n'est jamais allé en Grèce, qu’il ne connaît pas Marathon, qui ne sait pas qu'entre Marathon et Athènes il y a 40 km et qui sera très surpris d'ailleurs quand il l’apprendra.
C'est donc un bon exemple, comme on en a d'autres dans l’exposition, de comment un savoir très spécialisé, qui peut paraître parfois un peu déconnecté des réalités, un savoir élaboré dans le silence d'une bibliothèque et d'un bureau d'études fait courir aujourd'hui des centaines de millions de personnes à travers le monde. Je crois que c'est un bon exemple des retombées sociales et populaires, parfois inattendues, de la recherche en sciences humaines car en travaillant sur Hérodote, Michel Bréal ne s'imaginait pas un instant qu'en 2024 il y aurait tant de gens qui courraient le marathon à travers le monde !
En quoi la France a-t-elle joué un rôle prépondérant dans la création de l'Olympisme moderne ?
Alexandre Farnoux : En effet, on l'a un peu oublié aujourd'hui parce qu'on a fait de l'Olympisme un mouvement international, qui n'est pas lié à un pays en particulier. En réalité, l'Olympisme est très lié à la France et à la situation de l'enseignement en France. En 1880, l'Académie des sciences écrit un texte dans lequel elle signale qu'il y a un problème de santé publique qui est en train de se profiler, qui est le très mauvais état de santé des enfants à l'école en raison d'une trop grande quantité de travail intellectuel qu'on leur demande, enfermés, assis, en lecture, en récitation. Et donc, un document qui s'appelle « Le surmenage scolaire », est publié en 1880. Cela provoque une prise de conscience et le ministère de l'instruction publique va commander des enquêtes, en Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne, pour voir comment on intégrait de l'activité physique dans l'éducation. Pierre de Coubertin fait partie de ces enquêteurs qui sont allés en Angleterre, pour examiner comment s'intègre la pratique sportive dans l'éducation, quelle quantité d'heures, quel type d'organisation, quel type d'activité, quel modèle, etc. Et quand il rentre, il publie une série de textes sur le sujet. Cela va nourrir toute une réflexion avec le comité. Jules Simon en particulier, qui va lancer une série de réformes en imposant des heures d'exercice pour tous les enfants des écoles et des lycées. On ne parle pas de l'université, parce qu'à l'université, ce sont des jeunes gens qui à un moment donné, doivent faire leur service militaire (d'une durée de deux ans et plus). Et donc là, des exercices physiques, ils en feront forcément plus souvent qu'à leur tour. Mais c'est surtout pour les premières classes, les écoles et les lycées. Pierre de Coubertin n'est pas le seul, Michel Bréal est également un des théoriciens de la réforme de l'éducation.
Finit par l'emporter l'idée qu'il faut que cette pratique soit amateure, que cette pratique scolaire soit liée à des associations, qui va faire que les élèves en dehors de l'école vont pratiquer à titre amateur. Et pour les motiver, il faut qu'il y ait de la compétition. Ensuite, se pose la question de motiver encore plus par des compétitions internationales. Comment créer une compétition internationale qui va concerner tous les pays qui pratiquent l'exercice physique ? Quelle forme pourrait-on donner à ça ? On comprend très rapidement que puiser dans l'antiquité classique - qui est la culture commune de toutes les élites intellectuelles des pays occidentaux - sera immédiatement compréhensible par tout le monde, de l'Amérique à l'Allemagne, en passant par la Grande-Bretagne, la France, l'Italie, l'Espagne, etc. Tout le monde connaît la référence antique, on va parler un langage qui sera compréhensible par tout le monde. Un langage qui, à cette période, est considérablement enrichi par des découvertes archéologiques. Et ici, l'école française d'Athènes joue un rôle important parce qu'entre 1860 et 1890, elle va se trouver associée à des découvertes archéologiques ou des publications importantes. En particulier, il y a toute une série de travaux épigraphiques liés à l'étude des textes sur l'éducation athénienne, qui vont être publiés. Et il y a deux livres importants que Pierre de Coubertin a dans sa bibliothèque, et qu'il va même citer dans ses textes pour l'Olympisme, en disant : « comme le dit M. Gérardin, membre de l'école française d'Athènes, l'éducation des Athéniens est une éducation civique dédiée à la cité, avec de l'exercice physique. Il faut absolument que la France fasse pareil. » Tout à coup, les travaux des membres de l'École française d'Athènes, un établissement d'enseignement supérieur et de recherche, se retrouvent au cœur de la naissance de l'Olympisme.
Exposition L'Olympisme, Une invention moderne, un héritage antique
En écho aux épreuves olympiques, l'exposition s'accompagne d'une riche programmation, de visites guidées avec les commissaires d'exposition, de visites sportives "Courez au Louvre" en compagnie du chorégraphe Medhi Kerkouche, de paroles d'athlètes et dialogues olympiques, d'ateliers créatifs et sportifs à destination du jeune public et pour les jeunes adultes, de la possibilité de pratiquer le renforcement musculaire ou le yoga dans les salles du Louvre.
Musée du Louvre, Galerie Richelieu
Du 24 avril au 16 septembre 2024