Publié le 26.09.2023

L’impact environnemental du numérique dans les formations

Emmanuelle Frenoux enseigne l’informatique à de futurs ingénieurs, à Polytech Paris-Saclay. Elle a introduit très tôt dans ses cours la mesure de l’impact environnemental de cette discipline. Elle participe aussi au Groupement de Services EcoInfo pour des activités de recherche et de sensibilisation dans l’ESR.

Crédits :
© Cyril FRESILLON / CC IN2P3 / CNRS Photothèque

Qu’est-ce que le GDS EcoInfo ?

Le Groupement de Services EcoInfo est composé de chercheurs, chercheuses, d’enseignantes et enseignants-chercheurs, et d’ingénieurs issus de nombreux laboratoires en France, et rassemblés autour d’une thématique : « évaluer les impacts environnementaux négatifs du numérique et les réduire ».

Le GDS dépend du CNRS. Ses membres ont constitué une documentation pour cerner l’empreinte écologique du numérique, avec des articles publiés sur son site web, et des travaux de recherche plus approfondis sur le sujet. Le GDS interagit avec les instances qui peuvent proposer des actions comme l’ADEME ou la DINUM, par exemple.

Au-delà de la recherche, les membres du GDS EcoInfo se proposent de sensibiliser et former les collègues à propos des impacts environnementaux du numérique et la façon de les mesurer et de les réduire. Cela peut se faire sous forme de présentations, principalement au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche en France ou encore d’Actions Nationales de Formation.

L’histoire récente nous fait pointer du doigt la très grande dépendance de nos sociétés vis-à-vis de l’énergie et du numérique, et nous incite à réfléchir à nos gestes quotidiens comme à nos pratiques professionnelles. 
Lorsque l’on fait de la recherche en informatique, on ne peut éviter la question du coût énergétique de ses activités : celui nécessaire au fonctionnement des centres de calculs, à la conservation et au traitement des données par exemple. Il ne faut pas pour autant négliger les autres impacts environnementaux causés par le numérique, ni se concentrer exclusivement sur l’usage des matériels en négligeant leur fabrication et leur fin de vie.

Notre empreinte numérique explose !
Crédits :
Emmanuelle Frenoux / Laurent Lefèvre

Quelles adaptations des enseignements à Polytech Paris-Saclay ?  

À la suite du rapport de Jean Jouzel et de Luc Abbadie, "Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur", les établissements doivent faire évoluer leur offre de formation en prenant en compte les enjeux environnementaux. Cette caution ministérielle donne de la légitimité à ces enseignements transversaux, qui, dorénavant, ne devraient plus être perçus comme du militantisme, mais comme une nécessité sociétale. Chaque enseignant ou enseignante peut s’emparer du sujet et le mettre dans sa spécialité.

L’enseignement de l’impact de l’informatique sur l’environnement à Polytech Paris-Saclay précède la sortie du rapport et s’inscrit dans le cadre d’un module dédié à l’éco-conception. Ce module intègre une initiation à l’Analyse du Cycle de Vie (ACV), qui fait appel à des méthodes scientifiques permettant d’évaluer l’empreinte environnementale d’un produit de sa conception à sa fin de vie. Dans ce cadre, l’impact environnemental du numérique est enseigné depuis 2018, en prenant en compte différents aspects dont :

  • la consommation d’énergie
  • les matières premières utilisées
  • la fabrication des composants
  • la pollution autour des déchets produits

Le numérique a ceci de particulier que le cycle de vie du matériel est sous-tendu par les développements logiciels : certaines formes d’obsolescence sont liées au fait que certains logiciels ou systèmes d’exploitation deviennent trop lourds ou trop gourmand en puissance pour des machines encore fonctionnelles mais d’anciennes générations.

À l’université Paris-Saclay, une formation sur les enjeux de la transition écologique a également été mise en place en L2 par Jean-Michel Lourtioz, Jane Lecomte et Sophie Szopa, de façon précurseuse. Elle a donné lieu à la création d’un SPOC maintenant obligatoire pour tous les étudiants et étudiantes de L2.
Les étudiants et étudiantes ont souvent déjà eu une initiation autour de la fresque du climat dans l’enseignement secondaire : ils se focalisent sur les gaz à effet de serre, que l’on ressent, et que l’on peut mesurer. L’objectif de cette formation est de mettre en avant d’autres types de dégâts provoqués par l’activité anthropique, sur la biodiversité ou les zones humides par exemple. Ces cours sont ouverts aux étudiants comme aux personnels de l’établissement et rencontrent un grand succès.

Toujours à l’université Paris-Saclay, un SPOC est en cours de réalisation pour former 4 000 doctorants et doctorantes chaque année. Il s’agira ici de former les futurs chercheurs et chercheuses aux différents impacts environnementaux de la recherche et à leur mode d’évaluation.

À Polytech Paris-Saclay comme à l’université, les maquettes des formations sont construites par les enseignantes et enseignantes-chercheuses. Les ingénieurs pédagogiques les épaulent pour construire les MOOC et SPOC, et des compromis doivent parfois être faits, entre intérêt pédagogique (création d’animations pour retenir l’attention de l’internaute) et cohérence du contenu du cours sur l’impact environnemental (le poids conséquent des animations).

Quels sont les impacts des formations en distanciel ?  

Pour mesurer l’impact de la création d’un MOOC, il faut tenir compte de l’impact de la fabrication du matériel utilisé, de la consommation d’énergie, du poids des vidéos en termes de mémoire, par exemple. Plus difficile à estimer est le coût du transfert des données sur le réseau (quels chemins vont-elles emprunter ?), de leur stockage et de leur réception sur les terminaux. 

Pour mieux maîtriser la chaîne de production du MOOC, on peut :

  • se demander où il est hébergé. Certains centres de données sont plus « propres » en termes d’émission de gaz à effet de serre que d’autres, réduire la distance à l’utilisateur est aussi un bon choix ;
  • permettre le téléchargement du matériel pédagogique, afin que les internautes puissent le consulter quand ils sont débranchés, y compris dans les transports. On sait que l’usage de la 4G a plus d’impact environnemental que le réseau filaire ;
  • porter une attention particulière au poids de chaque contenu.

L’enseignement en hybride est-il préjudiciable à l’environnement ? 

Bien sûr, le déplacement qui est évité est une bonne chose pour l’environnement, mais la diffusion en direct a un impact environnemental. On sait que le streaming mobilise entre 60 et 80% de la bande passante… Il ne s’agit pas là des MOOCs et SPOCs universitaires, mais plutôt de vidéos de loisir… 

Si le meilleur choix pour l'environnement est le plus souvent de faire des formations en visioconférence au lieu de faire déplacer les participants et participantes depuis les quatre coins de la France, il convient de rester vigilant sur la perte relationnelle avec les étudiants et étudiantes dans le cas d’un cours totalement en distanciel.

Lorsqu'on met en place une formation en visio, plusieurs bonnes pratiques peuvent être mises en place.

  • Comme la vidéo consomme plus de bande passante, on peut ne proposer qu’un partage d’écran, une fois l’accueil terminé. Cela présente également l’avantage de ne pas forcer les étudiantes et étudiants à exposer aux autres les conditions dans lesquelles ils suivent le cours. On peut réactiver la vidéo lorsque des questions sont posées, pour plus d’interactivité. 
  • On peut également envisager, comme le font certaines conférences, ou certaines universités dans le cadre de formations, de constituer des pôles rassemblant les personnes d’un même secteur géographique. Pour un même événement en distanciel, on proposera ainsi plusieurs regroupements sur des lieux bien choisis pour minimiser les déplacements. 

La visio est ainsi suivie en commun, en synchrone et une personne référente, compétente sur le sujet est missionnée sur place pour créer du lien. Cela permet un meilleur dynamisme, avec un débat. Les personnes se déplacent dans un périmètre très limité et on maintient une relation humaine directe.

En guise de conclusion

L’empreinte environnementale du numérique ne se borne pas au seul impact carbone, et encore moins à celle du seul usage des matériels. Les impacts directs sont multiples :

  • pollution des eaux, de l’air, des sols en lien avec l’extraction des matières premières
  • la fabrication des composants et le traitement des Déchets d'Equipements Electriques et Electroniques (DEEE)
  • conflits d’accès à l’eau, conflits armés, problèmes de droits humains

En outre, les impacts indirects sont également très nombreux et extrêmement compliqués à quantifier (impacts sociétaux, économie des données, captation d’attention, problèmes de souveraineté, effet rebond, etc).

L’omniprésence du numérique et les évolutions climatiques nous contraignent à prévoir comment faire face à une panne électrique toujours possible, à un arrêt potentiel des machines pendant un temps donné. Que sera-t-on prêt à « débrancher » en cas de fort besoin en énergie ? Quels seront les matériels dont on privilégiera la fabrication si l’on manque d’eau ou de matières premières ? Et pouvons-nous nous permettre de changer si souvent de matériel quand nous ne savons pas le recycler correctement ?

À l’avenir, il ne fait pas vraiment de doute qu’il sera nécessaire de prioriser nos besoins, et finalement, de se donner le droit de ralentir.

Auteur(s)

  • Maîtresse de conférence
Université Paris-Saclay