Publié le 23.07.2019

Visite de la plateforme iPSC-Nantes: discours de Frédérique Vidal

Frédérique Vidal s'est exprimée mardi 23 juillet 2019 lors de sa visite d'une plateforme de recherche sur les cellules souches à l'université de Nantes. Dans la perspective du projet loi bioéthique, la ministre est revenue sur les mesures prévues en matière de recherche sur les cellules souches.

Chercheuse

Seul le prononcé fait foi

Je voudrais tout d'abord vous dire combien je suis heureuse d'être là aujourd'hui, et tout particulièrement de vous retrouver autour de cette plateforme de recherche si emblématique des atouts du territoire nantais.

Elle est emblématique parce qu'elle illustre la puissance du collectif : elle démontre qu'à partir du moment où les acteurs territoriaux et nationaux de la recherche, de la formation et du soin décident d'unir leurs forces, comme l'ont fait l'Université de Nantes, l'INSERM, le C.H.U. de Nantes et le C.N.R.S. alors tout, ou presque, devient possible.

Il devient possible d'inscrire une communauté, et au-delà, un territoire, dans une trajectoire d'excellence, de réussite, d'innovation, de rayonnement international, ce qui a valu au projet NEXT porté par l'université, l'Inserm, le C.H.U. et Centrale Nantes, d'être labellisé I-SITE en 2017.

Il devient possible, aussi, de s'emparer d'enjeux qui dépassent ces frontières pour toucher le monde et l'humanité, et s'il est un défi global par excellence, c'est bien celui de la santé. En partageant 19 plateformes de recherche et développement qui combinent le meilleur de la technologie et de l'ingénierie en matière d'imagerie cellulaire, d'expérimentation in vitro et in vivo, d'analyses omiques, la communauté scientifique nantaise s'est donné les moyens d'inventer la santé du futur.

Au sein de cet éventail de techniques et de compétences de pointe, la plateforme i-PSC joue résolument la carte de l'innovation en explorant une voie prometteuse, celle de la recherche sur les cellules souches, et c'est ce choix de l'audace qui fait d'elle un équipement si emblématique.

Parce qu'elles sont capables de se multiplier à l'infini et de se transformer en n'importe quel type de cellule constitutive de l'organisme humain, les cellules souches pluripotentes donnent aux scientifiques comme aux patients toutes les raisons de croire en l'avenir : grâce à elles, on peut modéliser des pathologies humaines, tester l'efficacité ou la toxicité de molécules pharmaceutiques innovantes, et même, envisager de régénérer des tissus ou des organes ; derrière cette révolution annoncée de la thérapie cellulaire, de la médecine régénérative, il y a l'espoir de vaincre des maladies, comme la maladie de Parkinson, ou de réparer des lésions aussi handicapantes que celles de la moelle épinière ou de la rétine, et il y a aussi l'espoir de traiter différemment d'aujourd'hui des maladies plus communes.

Les équipes nantaises se distinguent aussi dans le champ de la recherche sur l'embryon, qui permet une avancée des connaissances les plus fondamentales touchant aux mécanismes de la multiplication et de la différenciation cellulaire.

Ces recherches, parce qu'elles réveillent des interdits fondamentaux autant qu'elles portent les espoirs les plus ardents, parce qu'elles sont à la croisée des chemins entre des impératifs moraux contradictoires, sont au centre d'un questionnement éthique. Et celui-ci trouvera bientôt, avec la révision des lois de bioéthique, une nouvelle réponse, par essence temporaire, mais plus en accord avec la réalité scientifique et sociale d'aujourd'hui.

La révision des lois de bioéthique s'impose désormais comme un temps fort de notre Histoire et précisent le monde dans lequel nous voulons vivre. Elle offre au droit l'occasion de rattraper la science pour ne garder de ses avancées que les germes du progrès, ce mieux-être que la société définit à l'aune de représentations elles-mêmes en évolution permanente. Elle évite à ce que l'on peut, de prendre le pas sur ce que l'on veut, elle donne le sens de l'innovation. Elle incarne aussi ce moment privilégié où la société et la science prennent chacune le pouls de l'autre, la mesure de leurs attentes, de leurs frustrations et de leurs espoirs respectifs. Ce temps-là est toujours trop court et toujours trop rare : il doit pouvoir aujourd'hui s'étirer en un dialogue continu, et je voudrais à cet égard saluer votre initiative de MOOC, qui ouvre les portes de vos laboratoires à un large public, car c'est ainsi, en donnant à voir sa démarche et ses chercheurs dans leur quotidien, que la science retrouvera la confiance des citoyens et pourra guider pleinement leurs choix.

La loi de bioéthique sera discutée par le parlement à l'automne les questions relatives à l'extension de la P.M.A. prendront la lumière et mobiliseront beaucoup l'opinion publique, et c'est normal, car elles répondent à une attente sociétale forte et à un engagement
Pourtant, et j'aimerais que chacun en ait bien conscience, ce qui se joue dans le titre IV du projet de loi sur la bioéthique n'en est pas moins déterminant pour notre avenir à tous. En modernisant les dispositifs encadrant la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines, la nouvelle loi de bioéthique défend le principe d'une recherche libre et responsable tout en posant les limites que l'évolution des technologies a rendu nécessaires.

Plus de liberté pour la science, c'est plus de possibilités pour la recherche sur l'embryon. Ainsi, la nouvelle loi autorise les manipulations génétiques sur l'embryon à des fins de recherche. Cette ouverture permet aux chercheurs d'utiliser les techniques d'édition ciblée disponibles pour mieux comprendre les mécanismes du développement et de la différenciation cellulaire.

La loi réaffirme parallèlement l'interdiction de création d'embryons à des fins de recherche, et pose une limite à a durée de culture in vitro des embryons à 14 jours.

Toutes les garanties, tous les interdits nécessaires pour défendre le modèle démocratique européen sont maintenus et il ne saurait être question de modifications du patrimoine génétique d'un embryon destiné à être implanté ou de clonage.

Plus de liberté pour la science, c'est aussi un cadre plus souple pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. En effet, la nouvelle loi distingue clairement le régime de la recherche sur l'embryon de celui de la recherche sur lesC.S.E.H., jusqu'ici confondus. Cette clarification juridique traduit une clarification éthique : ces deux domaines de recherche ne sauraient relever des mêmes règles puisqu'ils ne soulèvent plus les mêmes dilemmes.

Jusqu'ici la recherche sur les C.S.E.H. était soumise au même régime d'autorisation que la recherche sur l'embryon, parce qu'on les confondait dans un même questionnement éthique. Aujourd'hui les recherches sur les cellules souches embryonnaires exploitent des lignées de cellules dérivées il y a parfois plus de 20 ans et ne sont plus liées à la destruction d'un embryon. La nouvelle loi prévoit donc d'alléger le régime de la recherche sur les C.S.E.H., en la conditionnant à une simple déclaration, ce qui va considérablement simplifier et accélérer les travaux de la communauté scientifique française dans un domaine de recherche qui porte de grands espoirs, en matière de connaissances fondamentales, en matière de compréhension et de traitement de maladies rares ou au contraire très courantes, en matière d'innovations thérapeutiques. Et si les promesses contenues dans les C.S.E.H. sont immenses, le potentiel des chercheurs français pour aller les découvrir l'est tout autant. Avec cette loi, ils pourront bientôt jouer à armes égales dans la compétition internationale qui se noue autour de cette recherche d'avenir.

Si cette séparation nette entre ces deux régimes de recherche est possible, c'est que la charge éthique des C.S.E.H. s'est en réalité déplacée : aujourd'hui, c'est moins leur origine qui interpelle que leur potentiel pluripotent. Or ce potentiel, elles le partagent désormais avec un autre type de cellules souches, les I.P.., que vous produisez ici. Il n'y a pas si longtemps, la possibilité de reprogrammer des cellules adultes spécialisées pour les rendre pluripotentes n'était qu'un rêve de chercheur. Les travaux de Shinya Yamanaka en ont fait une réalité, et, ce faisant, ont totalement changé la donne ; ils démontrent bien que si la science travaille sur le temps long, elle connaît aussi de brusques accélérations qui peuvent bousculer le cadre bioéthique dans lequel travaillent les chercheurs. Il est clair que les I.P.S. ne sont pas identiques aux C.S.E.H. et n'ont donc pas vocation à remplacer les C.S.E.H., ni à s'y opposer, mais plutôt à les compléter. Il n'en demeure pas moins que ces deux types de cellules ont beaucoup de choses en commun : les unes comme les autres rendent possible, à terme, la production de cellules éthiquement sensibles comme les gamètes ou encore la création de modèles embryonnaires. Dotées de capacités communes qui soulèvent des espoirs et des questionnements éthiques communs, il est légitime que leur exploitation scientifique soit soumise à des règles communes lorsqu'elle poursuit la même finalité.

La nouvelle loi de bioéthique, comme je l'ai dit, prône une recherche libre et responsable, et cette responsabilisation passe un encadrement des usages les plus sensibles des I.P.S., à la mesure de leur formidable potentiel.

Ouvrir la recherche sur l'embryon, ôter le carcan qui bride la recherche sur les cellules souches embryonnaires, intégrer les IPS dans notre réflexion éthique : l'ambition de la nouvelle loi n'est pas tant de définir le point d'équilibre entre science et conscience, entre innovation et transgression, que d'accompagner la recherche dans sa marche vers l'avenir, de l'aider à nourrir notre projet de société, de vous garantir, à vous chercheurs, que vous œuvrez pour le meilleur, et le meilleur, ce n'est pas un absolu, c'est un horizon que l'on définit en commun, et que l'on réinterroge régulièrement pour en déplacer la ligne. Et s'il y a bien quelque chose qui fait de nous des humains, c'est cette aspiration au meilleur, pour nous et pour les générations d'après ; il n'est donc pas question d'y renoncer. C'est contraire à l'éthique que de violer les interdits qui protègent l'intégrité de notre espèce ; mais ça n'est pas moins grave de l'empêcher de connaître et de progresser, car ces élans-là sont les garants de sa dignité, de sa singularité.

Je sais que c'est dans cette voie que vous êtes engagés, avec raison, avec passion, et je souhaitais partager avec vous, en avant-première de la présentation de la loi, ces réflexions.

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