Publié le 08.07.2025

Rencontre avec Silvana Condemi, lauréate du prix du livre scientifique - le Goût des sciences, 16e édition

L’homme de Néandertal a vécu en Europe entre 300 000 et 40 000 ans avant notre ère. Grâce aux chercheurs qui ont fait parler son ADN, nous le connaissons mieux aujourd'hui. C'est l'objet de ce travail de recherche que s'emploie à restituer l'ouvrage de Silvana Condemi et Jean-François Mondot, pour lequel ils ont reçu le prix du Goût des sciences. Rencontre.

On voulait vous annoncer quelque chose. Vous n'êtes pas seulement nommée pour cet ouvrage, Vous êtes aussi lauréate.

Ah bon ? Wow ! Je suis vraiment ravie parce que c'est un peu le couronnement de mes travaux. C'est magnifique, merci.

Je suis Silvana Condemi, paléo-anthropologue, directrice de recherche émérite au CNRS, et je suis rattachée à un laboratoire, le laboratoire ADES, rattaché à l'Université de Marseille et à l’Établissement français du sang. Mon ouvrage s'appelle « Néandertal à la plage » et le sous-titre, c'est « Nos frères disparus dans un transat ». Dans ce titre, il y a un peu tout. C'est-à-dire que c'est un livre sur une population disparue. En tant que paléo-anthropologue, je travaille sur l'origine de notre espèce, Homo Sapiens et sur les espèces qu'il y a eu avant la nôtre. Néandertal était une population fossile qui a peuplé l'Europe pendant une très longue période. Le sous-titre dit « Nos frères disparus », c'est une phrase très importante, parce que c'est une population humaine qui a disparu quand nous, Sapiens, nous sommes arrivés sur ce territoire européen, il y a environ 40 000 ans. J'ai écrit cet ouvrage avec Jean-François Mondot qui a plus l'habitude que moi de la divulgation scientifique. La première chose que nous avons faite, c'est nous rencontrer pour établir ensemble un plan, et voir toutes les connaissances que nous avons depuis la première découverte de Néandertal, en 1856 jusqu'en 2025, pour pouvoir les rendre accessibles au plus grand nombre.

Dans ce livre « Néandertal à la plage », j'écris pour un grand public. C’est un exercice complètement différent par rapport à un article scientifique. Dans un article scientifique, on s'adresse à un public qui est très limité, à ses pairs. Donc il y a des choses qu'on n'explique pas parce qu'elles sont connues. Alors qu'ici, il y a un véritable effort de préciser certaines notions. Cela demande au chercheur un très grand effort, pour expliquer d'une façon simple, avec des mots simples, mais en restant très scientifique, des concepts, qui peut-être ne sont pas connus par le plus grand nombre. Donc pour qui j'écris ? C’est pour le plus grand nombre de personnes, en espérant faire passer toutes mes connaissances dans un livre accessible à tout le monde.

Ce que nous apprennent les Néandertaliens, c’est que les populations n'ont jamais été isolées les unes des autres. Elles se sont toujours rencontrées, elles se sont toujours mélangées. Le fait que nous, Sapiens, nous ayons des gènes de Néandertaliens, ça montre que quand Sapiens est arrivé sur le territoire de Néandertal, ils se sont rencontrés. Ils ont sans doute échangé des techniques, mais également des gènes. Nous, Sapiens, quand nous sommes allés en Asie, nous n’avons pas simplement rencontré en Europe Néandertal, mais en Asie, Dénisova. Donc ça veut dire que les populations n'ont jamais été isolées, qu'il y a toujours eu du métissage. Quand on voit aujourd'hui les gènes que nous avons nous, Sapiens, qui nous viennent à la fois de Néandertal, l’Européen, et de Dénisova, l'Asiatique, ce sont des gènes qui nous ont été très utiles pour pouvoir vivre dans des territoires auxquels nous n'étions pas habitués, dans des territoires qui étaient tempérés, voire froids, et aussi dans des territoires en haute altitude. Nous savons que les gènes de certaines populations qui se sont adaptés à l'altitude, comme dans le Tibet, viennent de la population dénisovienne et d'autres gènes, comme par exemple le métabolisme des graisses nous vient de Néandertal.

La première chose à faire, c'est vraiment divulguer le savoir. Je crois que c'est très important que le grand public sache ce que nous faisons exactement. Donc il faut expliquer comment on arrive à ces résultats, qu'est-ce que ça apporte ? Par exemple, on a parlé de la génétique des Néandertaliens. Ce n'est pas simplement ludique de connaître leur génétique. Cela nous donne une idée de comment étaient les gènes, il y a 40 000 ans, 100 000 ans. C'est très important de voir comment certains gènes ont pu évoluer, comment on peut intervenir, comment certaines maladies pourront être dans le futur, soignées grâce à une meilleure connaissance de certaines populations fossiles. Je pense qu'un livre peut éveiller la curiosité et peut donner envie d'aller encore plus loin, de lire encore plus, de connaître encore plus. Je pense qu'il n’y a que par la connaissance et par une envie de connaître, un curiosité que l’on peut développer chez les jeunes, pour donner envie d'aller vers les sciences.

Néandertal à la plage. Nos frères disparus dans un transat, Silvana Condemi et Jean-François Mondot (Dunod)

Néandertal a définitivement cessé d’être un Autre quand nous avons appris qu’il enterrait certains de ses morts et prenait soin de ses malades. La recherche nous apporte également des preuves que Sapiens et Néandertal se sont fréquentés, puisque 2 % de nos gènes nous viennent de lui. Une proximité qui rend sa disparition encore plus troublante et énigmatique. Installez-vous confortablement dans un transat et laissez-vous conter par Silvana Condemi, paléontologue, directrice de recherche au CNRS, au sein du laboratoire ADES rattaché à l 'université de Marseille et à l’Établissement français du sang, et Jean-François Mondot, rédacteur permanent aux Cahiers de Science et Vie, l’étonnante histoire de nos frères disparus.

Néandertal à la plage. Nos frères disparus dans un transat, Silvana Condemi et Jean-François Mondot (Dunod)

 

Interview

Où cet ouvrage vous a-t-il emmenée (géographiquement) ? Avec qui avez-vous collaboré pour l'écrire ?

Silvana Condemi : Cet ouvrage est le fruit de travaux qui s’étalent sur plus de 30 ans d’études. Mes recherches ont commencé lors de ma thèse et se sont développées tout au long de ma carrière d’abord au Muséum national d’Histoire naturelle, à Paris, puis au CNRS. Au cours de mon activité de chercheur qui m’a permis de contribuer à la connaissance de cette population fossile, j’ai eu la joie de participer à de très nombreuses fouilles en Europe et au Proche-Orient et de mettre au jour des fossiles nouveaux ; j’ai parcouru l’Europe, le Proche-Orient et l’Afrique afin d’étudier dans les musées et les centres et laboratoires de recherche le moindre petits restes fossiles me permettant de reconstituer l’histoire évolutive des Néandertaliens de leur origine à leur disparition lors de l’arrivée de notre espèce Homo sapiens. Cette quête m’a permis de voyager, d’échanger avec des collègues, de me faire des amis. Ce livre écrit avec Jean François Mondot, historien et journaliste, en est l’illustration. Les Néandertaliens ont en quelques mots façonné ma vie.  

Quelle découverte récente vous a le plus marqué ou a changé votre perception de Néandertal ?

S. C. : Avec des collègues hématologues, généticiens et généticiens des populations, nous avons voulu connaître la diversité génétique des groupes sanguins de Néandertaliens et des autres fossiles qui vivaient en Eurasie. J’ai été éblouie par l’histoire que raconte les groupes sanguins de Néandertal : ils montrent leur origine africaine, leur grande homogénéité sur un très vaste territoire géographique allant de l’Atlantique à la Sibérie, mais aussi leur fragilité démographique et aux pathogènes qui nous entourent. C’est une étude qui n’aurait pas été possible lorsque j’ai commencé mes études et que l’on doit à l’introduction de la paléogénétique dans ma discipline : la paléoanthropologie. 


Qu’est-ce que Néandertal nous apprend sur nous-mêmes et sur l'évolution ?

S. C. : Les populations humaines n’ont jamais été complètement séparées les unes des autres et cela même pendant la préhistoire. Elles se sont toujours rencontrées, ont eu des échanges culturels. Elles ont parfois même mélangé leur gènes comme le montre le petit pourcentage de gènes Néandertaliens chez les Européens et Denisoviens chez les asiatiques d’aujourd’hui. 

Le Goût des sciences

Le Goût des sciences est un prix littéraire qui récompense, depuis 2009, les meilleures publications de médiation scientifique. Il entend réaffirmer la place des sciences au cœur de la société en mettant en lumière le travail de recherche et en suscitant des vocations. Le Goût des sciences a pour ambition de rendre la science accessible au grand public en distinguant les travaux des chercheurs et des experts.

Cette année, le jury du Prix Le Goût des sciences a sélectionné 15 ouvrages dans la catégorie du prix du livre scientifique et 16 dans la catégorie jeunesse. Tous répondent à un objectif commun : rendre accessible les sciences en vulgarisant le savoir scientifique sans pour autant lui faire perdre de son exactitude autour de thèmes riches et variés.