Publié le 11.12.2019

Cérémonie de remise des Prix INSERM 2019

Frédérique Vidal s'est exprimée, le mardi 10 décembre, à l'occasion de la 20e cérémonie annuelle des Prix INSERM qui a distingué six chercheurs et ingénieurs dont les réalisations contribuent à l'excellence scientifique de l'Institut.

Remise des prix INSERM

SEUL LE PRONONCE FAIT FOI


A force de l'associer à la vérité, à la raison, à l'ambition, à la compétition, on pourrait en venir à oublier que l'excellence scientifique se construit aussi à force d'humilité, cet art de l'écoute et de la confiance, cette accroche au terrain et à l'humain, cette " antichambre de toutes les perfections " disait Marcel Aymé.


Heureusement, il y a des hommes et des parcours d'exception pour nous le rappeler, le vôtre en fait incontestablement partie et c'est pourquoi je suis particulièrement heureuse et fière de vous remettre ce soir ce prix d'honneur.


Et je sais que cette joie et cette fierté sont largement partagées, tant vous êtes apprécié de tous, au sein des communautés scientifiques et médicales, et au-delà. Cette unanimité n'est pourtant pas le signe d'une personnalité consensuelle car à bien des égards, votre parcours sort largement des sentiers battus.


Si vous choisissez de vous lancer dans des études de médecine sur un coup du sort, c'est en croisant la route du VIH dans les années 1980 que vous naissez véritablement à l'immunologie et au soin, comme nous venons de le voir dans votre portrait.


Tout comme les êtres se révèlent dans les moments de crise, face à cette maladie inconnue qui tue sans que l'on sache comment et qui rappelle à l'humanité qu'elle n'en a pas fini avec la capacité d'évolution et d'adaptation des agents pathogènes, votre vocation pour la recherche médicale se précise, s'épure, va à l'essentiel. Et l'essentiel, pour vous, c'est le patient.


C'est pour lui que vous développez ce don d'ubiquité propre aux médecins-professeurs-chercheurs, un pied dans l'unité Immunologie de l'INSERM, l'autre dans l'unité SIDA de l'hôpital Antoine Béclère puis de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, le tout au bénéfice de vos étudiants de Paris 6 et Paris 11. Soucieux d'approfondir ce continuum du laboratoire au lit du patient, vous contribuerez à la création des premières cohortes A.N.R.S. de malades du sida dans les années 90.


C'est pour le patient aussi que vous devenez, selon vos propres mots, un « cow-boy » de la recherche, engagé dans un rodéo contre l'épidémie qui implique parfois de bousculer un peu les protocoles et de s'affranchir d'un certain purisme académique. L'urgence humanitaire rebat en effet toutes les cartes, desserre tous les carcans, fait tomber toutes les barrières et pousse la médecine et la recherche hors de leur zone de confort. Une seule règle prévaut désormais : jouer collectif.


Cette ouverture à 360 degrés, forgée par les années SIDA, devient le fil rouge de l'ensemble de votre carrière. Sur le plan scientifique, elle se révèle dans votre attachement à la multidisciplinarité, que vous promouvez en croisant les recherches en Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie au sein de l'Institut I3M et en renforçant le dialogue avec les sciences humaines et sociales. Sur le plan sociétal, ce sens du collectif vous conduit à accorder une place inédite aux associations de malades et à semer les premiers germes d'une démocratie sanitaire que l'Inserm n'a eu de cesse de cultiver, au travers du groupe de réflexion GRAM ou du collège de relecteurs. Sur le plan international, à la tête de l'A.N.R.S. tout comme à la direction de l'I3M, vous faites de la coopération avec les pays du Sud une priorité, pleinement conscient de cette solidarité de fait que les maladies émergentes créent entre les hommes et les femmes, par-delà les frontières géographiques et culturelles.


Cow boy de la recherche peut-être, mais certainement pas solitaire ! Car vous êtes aussi un incroyable chef d'orchestre, doué pour animer des réseaux, créer du lien entre les pays et les savoirs, conjuguer les talents et coordonner les actions. Ces qualités vous ont valu de rejoindre la task force interministérielle en pleine crise d'Ebola en 2014, mais elles sont tout aussi précieuses en temps d'accalmie sanitaire, pour préparer notre réponse à l'émergence de nouvelles maladies, comme vous l'avez fait en participant à la création du consortium Reacting.


Ainsi vécue, ainsi investie, cette existence au contact des virus constituait l'une des meilleures écoles pratiques de l'éthique, l'une des meilleures propédeutiques au chantier titanesque des Etats généraux de la bioéthique que vous avez conduits peu après votre arrivée à la tête du Comité consultatif national d'éthique. Fidèle à vous-même, fidèle à cette conviction que le débat scientifique et sanitaire n'est pas la chasse-gardée des savants dans la mesure où il façonne notre avenir commun, vous avez eu à cœur d'y associer largement les citoyens, et je crois que le projet de loi bioéthique en porte le sceau.


Le défi d'un tel texte est de parvenir au meilleur équilibre entre les possibilités de la science et les aspirations de la société, ce qui implique d'en avoir capté l'écho, et il est évident que sur des sujets comme la PMA ou la recherche sur les cellules souches embryonnaires, la société n'émet pas de signal univoque. Vous avez su insuffler au CCNE la qualité d'écoute nécessaire pour en percevoir les nuances, les contradictions, les attentes profondes, et c'est cette posture d'accueil qui fait, je crois, de la loi présentée au Parlement un texte d'ouverture et de responsabilité.


Enfin, je voudrais terminer en soulignant le fait que votre parcours, et tout particulièrement votre combat contre les maladies infectieuses, est aussi un témoignage limpide du pouvoir de la science face à des défis qui ne semblent pas à hauteur d'homme. Dans les années 90, le service de médecine interne et d'immunologie que vous dirigiez à l'hôpital de Bicêtre voyait mourir environ 120 patients par an du VIH. Pourtant aujourd'hui, le sida est devenu une maladie chronique.


Que s'est-il passé en 20 ans ? Dans le sillage de la découverte de Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, des travaux fondamentaux ont permis de mieux comprendre les mécanismes immunologiques de la maladie, des essais cliniques ont été conduits, comme ceux que vous avez menés autour de l'AZT, cet inhibiteur qui diminue le taux de transmission du VIH entre la mère et l'enfant, les premières trithérapies ont été mises au point, des traitements prophylactiques de préexposition ont été développés, notamment grâce à l'essai IPERGAY conduit par l'ANRS sous votre présidence. Nul remède miracle dans tout ça, mais un arsenal de pressions thérapeutiques qui ont permis de circonscrire le VIH à défaut de l'éradiquer.


Cette force de proposition de la science, si évidente aux yeux de la population dans le domaine de la santé, porte aussi une promesse de progrès et d'innovation dans des secteurs qui semblent hors de portée de tout microscope. La communauté scientifique a donc la responsabilité majeure de convaincre la société de trois choses essentielles : la première, c'est que même au plus fort de la tempête, même au plus fort de notre sentiment d'impuissance, il ne faut jamais s'avouer vaincu, car la science nous donnera toujours des raisons d'espérer.


La deuxième, c'est que les victoires remportées par la recherche contre le VIH à force d'approches plurielles et de solutions combinées, elle peut aussi les obtenir dans des domaines où les citoyens, les décideurs et les industriels en quête de réponses se tournent moins spontanément vers elle, comme le réchauffement climatique, qui interpelle notre jeunesse avec autant de violence que le sida a pu le faire dans les années 80. La troisième, c'est qu'il ne faut pas attendre de la recherche des réponses unilatérales et monolithiques à des défis qui rivalisent de complexité et qui bien souvent, sont interdépendants. Dans un monde pris de vitesse, où l'on voudrait que tout soit simple, que tout se règle en un claquement de doigt ou en un clic, dans un monde où fleurissent les bonimenteurs aux promesses faciles, il est parfois difficile de faire entendre la voix de la science, la voix de la raison, la voix de la complexité. Et pourtant, il n'y a pas d'issue unique, il n'y a pas de réponse simple à la question de l'alimentation durable, de la transition écologique, des migrations, de la révolution numérique, il y a une multiplicité de chemins, que seule la recherche la plus large, la plus interdisciplinaire, la plus libre, la plus ouverte, est capable d'aller défricher.


Cette recherche tout en audace et en humilité, en ambition et en pragmatisme, en excellence et en attention, cette réserve d'optimisme au cœur des combats les plus périlleux, c'est celle que nous voulons aujourd'hui soutenir avec la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, pour que d'autres esprits libres et atypiques comme le vôtre trouvent leur place dans la communauté scientifique française, pour que d'autres victoires soient remportées contre l'inconnu, pour que science et société puisent l'une chez l'autre plus d'inspiration, plus de courage, plus de confiance dans l'avenir.


Alors merci à vous d'incarner cet horizon, cet espoir avec autant de générosité et de simplicité !

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